Sophie Junker et Anthony Romaniuk, Récital anti Isolation à Flagey
Sommes-nous faits pour vivre seuls ? La musique peut-elle s’isoler elle-même en un registre ? Le fait d’être livré à nous-mêmes, coupés de nos pairs peut-il nous mener à une certaine forme de folie ?
Afin de répondre à ces larges questions, le duo de musiciens (voix et claviers) expérimente les possibles échanges et surprenants mariages de timbres entre chant et clavecin, piano mais aussi Fender Rhodes (piano électrique), bousculant les styles et les genres (œuvrant pour les rapprocher). Tout aussi souple et surprenante que les propositions aux claviers, la soprano belge Sophie Junker invite aux interconnections culturelles, de Joseph Chabanceau de la Barre à Barbara, entre les langages de Purcell, Debussy, les Beatles, Brel, Ravel, Fauré, Satie, ...
Trois claviers et trois âges de la musique, présents sur scène quand le duo arrive et se présente au public, annoncent l'habileté des choix au programme : notamment dès Purcell avec Music for a While accompagné par Anthony Romaniuk au Fender Rhodes qui rappelle les versions de Klaus Nomi. Au clavier, les notes pleuvent avec une grande versatilité, Anthony Romaniuk semblant s’amuser des genres, détaché et absorbé par la brillance de sa musique et de sa virtuosité : une main sur le clavier du piano, l’autre sur celui du clavecin, le pied déjà prêt à appuyer sur la pédale du Fender Rhodes, le claviériste se joue de la musique.
Le programme suit ainsi un parcours autour du thème de l'Isolation (à entendre plutôt comme le mot anglais, dans le sens d'isolement) mais il s'articule surtout sur la grande agilité sur la voix de la soprano. Sophie Junker, issue de l’IMEP (Institut royal supérieur de musique et de pédagogie de Namur) mais aussi de la Guildhall School of Music and Drama de Londres, marque son parcours par un amour particulier envers Haendel, source d'un trajet qui traverse ici les âges de la musique, transportant son timbre bien personnel vers des temps plus contemporains. Sa signature vocale repose sur un vibrato très fin et serré, sa souplesse faite de droiture témoigne d’une formation baroque aboutie, la respiration étant toujours contrôlée, la diction modèle, et l’émotion bien présente. Riche, tenue et élégante, la voix de la chanteuse se transforme au fil du récital et des répertoires en conservant sa technique qui prend ici un sens particulier : autant d’histoires et de folies pour ne ressentir qu’une seule solitude bien humaine.
Association des genres et d’un riche duo, l’Isolation ainsi abordée à contre-pied, accordant en une heure de temps la poésie rare du récital, très humaine, presque fédératrice finalement : recueillant pour cela l'enthousiasme du public.