Myung-Whun Chung et Rossini : Stabat Mater brûlant au Festival de Saint-Denis
Myung-Whun Chung fait une entrée discrète mais applaudie et entame les premières mesures de l’Ave Verum mozartien (donné en prélude au Stabat Mater de Rossini). Le chœur, placé au fond de la Cathédrale et très peu sonore dans un premier temps, trouve peu à peu ses marques dans ce morceau intimiste, idéal pour que chaque pupitre puisse se chauffer et réinvestir le son commun. De son côté, l'Orchestre semble pâtir du même problème acoustique et si les instruments des premiers rangs se font très bien entendre, c'est au détriment parfois du reste de la phalange, estompée malgré elle dans la réverbération excessive des lieux. Toutefois, c'était sans compter la qualité intrinsèque des musiciens et de la direction du chef (presque) septuagénaire, extrêmement réactifs et unis. La gestuelle charismatique et intuitive, l'engagement noueux et musclé, l'attention permanente et vive de l'artiste coréen sont autant d'éléments qui apportent à la musique quelque chose voisin du mystère, entre l'empathie et la curiosité de l'inconnu.
Ce travail musical fait du Stabat Mater un moment d'intense émotion et ce dès les premières mesures sur lesquelles s'arrête le chef, non pas par maniérisme, écueil qu'il évite à chaque fois, mais pour se rapprocher du silence en l'interrogeant : pourquoi ces sons plutôt que rien ? Cette question hante ensuite la totalité de ses intentions et des inflexions qu'il demande, aussi bien à l'orchestre qu'au chœur. C'est d'ailleurs toute la force du "Paradisi gloria", puissamment ouvragé, où les questions et réponses qui traversent les pupitres, des voix graves aux voix les plus claires, se font l'écho très sobre de la dimension profondément spirituelle de l'œuvre, trop souvent écartée chez Rossini au profit d'un plaisir rythmique un peu vain. Le dernier morceau, autour du "Amen" final, clôt la soirée en un moment où orchestre et chœur, en pleine possession de leurs moyens, se laissent guider par la gestuelle habitée du chef et sa lecture visionnaire.
Dans cet élan viennent se greffer, de façon plus ou moins égale, les quatre solistes porteurs du texte. Là encore, la disposition des lieux empêche les voix de bien se fondre avec l'ensemble, ce qui atténue la portée lyrique de certains passages. Mais c'est également au regard de la direction habitée que les interventions solistes paraissent moindres.
À l'échelle du quatuor, le déséquilibre vient d'abord de la projection du son, les voix masculines couvrant quasi systématiquement les voix des deux femmes. Un autre déséquilibre, lui, provient du manque de nuances du chant des deux hommes par opposition à la recherche de musicalité féminine. L'ensemble donne un résultat qui, quoique cadré par les exigences du chef, n'impose jamais de cohérence musicale.
Selene Zanetti, dont la voix cuivrée s'élance aisément dans les phrases rossiniennes, n'évite pas une certaine affectation rendant ses interventions triviales malgré une implication et une réactivité remarquées. Xabier Anduaga, à l'inverse, offre une voix claironnante en grande forme (notamment dans "Cujus animam gementem", chanté comme un air d'opéra) mais au détriment d'un chant plus nuancé qui eut mieux rendu les subtilités de la partition. À ses côtés, la basse de Gianluca Buratto donne à entendre un son presque fruste, dans une émission uniforme qui quoique séduisante et noire, aux graves profonds, manque de nuances. Chiara Amaru enfin, peu audible en début de soirée, laisse sa voix s'épanouir peu à peu, apportant une rondeur à son chant un brin nasal et engorgé, sans toutefois se plonger dans une lecture sérieuse mais manquant aussi d'engagement dans ses diverses interventions.
La réaction du public est immédiate après que le dernier accord se tait : une pluie d'applaudissements vient remercier les artisans de la soirée, réservant au chef une acclamation méritée.