Stabat Mater de Pergolèse à Clermont-Ferrand, œuvre sacrée et duo consacré
Leur association lors d’un concert dédié au court et méconnu opéra Marc’Antonio e Cleopatra de Johann Adolf Hasse, début 2019, avait laissé un souvenir marquant au public clermontois. Celui-ci est donc massivement au rendez-vous à l’heure de retrouver le duo formé par Leslie Visco et Marta Fumagalli, à nouveau accompagnées par La Cappella Neapolitana dirigée par Antonio Florio, et à nouveau pour un programme consacré à la musique baroque. Un baroque ici abordé dans son rapport au sacré en un lieu qui s’y prête : l'Église Saint-Genès-les-Carmes, petit bijou d’architecture d’inspiration gothique en plein cœur du clermont médiéval.
C’est là, devant un autel monumental, que résonnent d’abord les notes pleines de majesté de la Passacaille en la majeur pour cordes signée du compositeur Michele Mascitti, actif au beau milieu de l’époque baroque, entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle. Enjouée et bâtie sur une ligne rythmique voyant alterner le binaire et le ternaire dans un même élan d’éloquence sonore, cette pièce fort charmante permet aux instrumentistes de procéder à bien plus qu’un tour de chauffe. Notes bondissantes, jeu plein d’allant, rythmique d’une régularité mesurée : tout concourt à servir une partition dont s’imprègne tout particulièrement le violoncelle d’Alberto Guerrero, qui parvient par un jeu d’archet fort dynamique à exister pleinement dans son dialogue avec cinq violons non moins irréprochables de musicalité.
Vient ensuite le Salve Regina en fa majeur du Napolitain Leonardo Leo, ici magnifié tant par les instrumentistes que par la soprano italienne Leslie Visco (que le public clermontois avait pu découvrir en 2015 lors du Concours de chant dont elle avait alors été finaliste, devancée par Elsa Dreisig). Portée par une saisissante construction chromatique, cette prière à la Vierge est ici déclamée avec toute la solennité requise, notamment dans les mouvements les plus lents, tel ce “Ad te suspiramus” à la force hiératique. Par sa voix homogène sur toute la tessiture, au timbre sonore et raffiné soutenu par un souffle tout en évanescence, la soprano magnifie le texte avec des manières d’orfèvre qui donnent le juste relief à chacune des strophes, ici enchaînées dans un même élan vocal, des aigus brillants venant rehausser l’ensemble.
Silences religieux
La soprano est rejointe ensuite par sa compatriote Marta Fumagalli pour la pièce phare du programme du soir, le Stabat Mater de Pergolèse. De cette œuvre incontournable du répertoire liturgique, les deux solistes, à la complicité bien rodée, livrent une interprétation marquée par un égal souci de l’équilibre des voix et de l’ornementation du phrasé, ce qui est prégnant dès les premières notes du mouvement introductif, ce “Stabat Mater Dolorosa” effectivement porté par des voix aux traits pareillement douloureux et affligés. Là, comme dans l’ensemble des duos qui suivent, les deux voix, qu’elles se répondent ou qu’elles se superposent, sont saisissantes de justesse et d’engagement dans la restitution de la souffrance et des larmes décrites. À elle seule, la force des silences venant séparer chacun des mouvements en dit beaucoup sur le poids de la solennité que parviennent à instaurer conjointement les deux artistes. Avec sa voix aisément projetée aux aigus rayonnants mais jamais excessivement puissants (ce que n’appelle de toute façon pas le registre religieux dont il est ici question), Leslie Visco se démarque avec expressivité et sensibilité, s’appropriant chaque syllabe pour les lustrer de couleurs et de teintes multiples propres à restituer le tourment et la lamentation. À ses côtés, le mezzo-alto de Marta Fumagalli s’illustre par un timbre distingué et de belle rondeur dans le medium, même si l’élastique voix se fait parfois moins sonore que celle de sa partenaire du soir dans les passages où l’orchestre donne dans les nuances les plus fortes. L’engagement et le souci d’incarner les saintes paroles plus que de les déclamer est en tout cas incessamment palpable.
L’allant et l'éloquence affichés par La Cappella Neapolitana dans les deux premières pièces du programme trouve sa concrétisation dans ce Stabat Mater nourri par un élan permanent et par des nuances marquées avec précision (selon que les tercets évoquent la souffrance et le supplice ou des flammes dévorantes). De son pupitre, le maestro Antonio Florio dirige les instrumentistes avec la science d'un geste franc et précis en quête constante d’équilibre sonore entre les pupitres mais aussi entre les instrumentistes et les deux solistes. Dans cette formation se faisant fort de défendre le répertoire baroque dans toute sa richesse, l’orgue d’Angelo Trancone se remarque par ses ecclésiales sonorités, tout comme le théorbe impeccablement manié par Pierluigi Ciapparelli.
Une fois l’intensité retombée après un silence plus que jamais d’église, le public applaudit chaudement ce dernier grand rendez-vous vocal de la saison du Clermont Auvergne Opéra.