Lohengrin à Nantes : une version concert sans seconds couteaux
Le prélude de Lohengrin est l’une des plus belles pièces symphoniques du répertoire. Débutant dans un délicat pianissimo, il fait monter la tension petit à petit, au gré d’un lent crescendo au cours duquel les pupitres de l’orchestre s’ajoutent les uns après les autres jusqu’à atteindre une violente explosion ponctuée d’un roulement de timbales. La musique peut alors s’apaiser jusqu’à une dernière note filée aux violons, vibrante mais légère. L’Orchestre national des Pays de la Loire, dirigé par son Directeur musical, le sobre Pascal Rophé, s’acquitte à merveille et avec une fibre wagnérienne prononcée de cet extrait introductif. Malgré quelques fausses notes, l'orchestre tient d’ailleurs sa place avec cette même flamme tout au long de la soirée. Les chœurs rassemblés de l’Opéra de Nantes et de Montpellier dirigés respectivement par Xavier Ribes et Noëlle Gény, eux aussi excellents, laissent le public pantois dès leur première apparition par l’équilibre des voix autant que par la puissance dégagée. Seule ombre au tableau : quelques errements rythmiques sur le très complexe chœur célébrant l’arrivée de Lohengrin.
Daniel Kirch (© DR)
Tout avait mal commencé pour Daniel Kirch, titulaire du rôle-titre, dont la première note était mal assurée. Faute d’une puissance vocale suffisante, sa voix se perdait dans les ensembles, notamment au premier acte. Cependant, dans l’intimité conférée par le troisième acte, sa voix lumineuse et sa prestance lui assurent un finale triomphal, précédé d’un subtil duo d’amour avec l’Elsa de Juliane Banse. Cette dernière a d’ailleurs connu une trajectoire similaire, la voix voilée lors de ses premières interventions, jusqu’à son cri de victoire, lorsque son héros remporte son combat à la fin du premier acte. Son chant virtuose et ciselé dans les aigus, apparaît alors pour ne plus la quitter : sa réponse fière à Ortrud au deuxième acte est particulièrement brillante. Impliquée, elle sur-joue parfois le désespoir, l’impuissance et la naïveté.
Jean Teitgen (© DR)
Jean Teitgen interprète un Roi Heinrich d’une grande noblesse. Sa voix, puissante et profonde, sied parfaitement au personnage, ainsi qu’au répertoire, dans lequel nous espérons le revoir sous peu. Veloutée lorsqu’il s’adresse à Elsa, elle prend corps lorsqu’il impose son autorité, y compris (et surtout) dans les profondeurs de la tessiture. Autre grande satisfaction de la soirée, l’Ortrud de Catherine Hunold est magistrale. Scéniquement, d’abord, malgré l’absence de mise en scène, la mezzo-soprano parvient à rendre son personnage réellement effrayant, par ses rires diaboliques, ses regards menaçants et ses expressions machiavéliques. Vocalement ensuite, elle impressionne par sa maîtrise d’un ambitus (écart entre la note la plus haute et la note la plus basse de sa partition) extrêmement large, terrifiante dans les graves, les yeux enflammés, et puissante dans les aigus. Pour autant, sa complainte du deuxième acte est vibrante, sans exagération, la voix posée.
La voix du Telramund de Robert Hayward aura quant à elle paru mal échauffée. Mal assurée et rocailleuse au premier acte, elle a gagné en prestance au fil de l’ouvrage. Habité par son personnage dès son apparition, et se passant volontiers de sa partition, le baryton incarne un chevalier respectable perdant son honneur au fil de l’œuvre, par son ambition et la confiance qu’il accorde à sa femme Ortrud. Chose rare dans une version concertante, il poursuit son jeu théâtral au-delà de ses interventions. Son grand air du deuxième acte est ainsi magnifié par une prestance déchue habilement jouée. Enfin, Philippe-Nicolas Martin est un Héraut royal appliqué et efficace, digne dans son attitude. Il démontre une puissance vocale que ses précédents rôles ne laissaient pas soupçonner : il nous vient dès lors l’envie de le découvrir dans d’autres rôles wagnériens !