Hänsel et Gretel à la mode d’aujourd’hui à Clermont-Ferrand
Après une version vichyssoise ayant ramené l’œuvre à son statut de conte (notre compte-rendu), place à un “remake” moderne d’Hänsel et Gretel donné sur la scène de l’autre grande maison lyrique auvergnate, celle de Clermont-Ferrand. Une version elle aussi éloignée de la version originale d’Engelbert Humperdinck, et ici bien plus proche à vrai dire du théâtre que du conte. L’œuvre, en l’espèce, ne se trouve point scindée en trois parties et n’est pas chantée en allemand. Dans une même unité de lieu (une chambre) et de temps (une nuit) qui fondent ici l'adaptation de Valerie Marestin, les personnages enchaînent scènes chantées et passages parlés en n’utilisant qu’une seule langue : celle de Molière. Un choix répondant là à un simple et noble objectif : conquérir efficacement “l’innocente écoute des enfants” (comme énoncé dans la note d’intention) en leur proposant, ainsi qu’à leurs parents, de suivre en toute simplicité une courte histoire qui leur parle ici à double titre, car elle est narrée (et surtitrée) en français, donc, mais aussi car elle s’inscrit dans un contexte résolument actuel.
La mise en scène de la même Valerie Marestin, visant à la clarté la plus totale, transporte ainsi l’action dans la chambre des enfants que surplombe, au premier étage d’une maison sur pilotis, la fenêtre de la chambre parentale. Ou plutôt de la chambre monoparentale : la figure paternelle est en effet absente, comme pour s’ancrer davantage dans une réalité sociétale du monde d’aujourd’hui. Dans ce décor (signé Christophe Vallaux) qui est leur chez eux, les enfants sont aussi des mômes de l’époque moderne : Hänsel est un féru de football qui “rêve d’avoir un maillot et un short de sport pour Noël”, Gretel aime “le breakdance et le hip hop” et passe son temps sur les réseaux sociaux, se désespérant qu’il n'y ait “pas assez de réseau dans cette maison”. Une maison ni bourgeoise ni pauvre, très “classe moyenne” en fin de compte, où les enfants font les bêtises de leur âge dont une, ici, va toutefois leur valoir quelques tracas. Car si elle ne les envoie pas en forêt chercher des fraises (comme dans la version originale de l'opéra), leur mère leur interdit d’ouvrir un livre sans sa présence. Consigne dont les enfants font évidemment fi, ouvrant la page d’un cauchemar qui les verra affronter une sorcière maléfique dans une maison emplie de bonbons dont ils finissent par ressortir à force de malice, tombant à leur réveil dans les bras de leur maman dont la colère n’est qu’éphémère avant un câlin faisant office de happy-end.
Une mère qui cumule les emplois
Le rôle de la mère, justement, est parlé et chanté avec une même énergie par Christine Craipeau qui y fait briller une voix de mezzo ample, vibrée et chaude de timbre. Tendre dans sa colère, ferme dans sa tendresse (à l’heure de gronder les enfants), cette maman là cumule aussi les emplois, puisqu’elle est également une sorcière qui prête à rire plus qu’à effrayer, tant son côté maléfique est surjoué avec gourmandise et drôlerie. En Hänsel, la mezzo Coline Dutilleul se montre fort engagée dans la restitution d’un rôle d’enfant à la fois joyeux et turbulent. Elle déploie en outre une voix charmante à l’écoute, bien projetée sur une large amplitude, et au timbre riche d’une fraîcheur collant pleinement à ce rôle juvénile. Deborah Salazar-Sanfeld est de son côté une Gretel seyante en petite sœur tourmentée par son frangin, mais à la candeur pétillante. Sa voix de soprano est lustrée par un timbre clair et vibré, portée par une projection aisée et qui s’épanouit avec rondeur dans le registre le plus aigu. Enfin, en Marchand de sable et Fée rosée, Géraldine Jeannot donne également à entendre une voix de soprano, agréablement timbrée et assise sur un solide medium.
Quant à la partie orchestrale, elle est ici confiée à un ensemble de cinq musiciens (accordéon, violoncelle, clarinette, cor et piano), dirigés derrière son clavier par Sylvain Souret à la gestuelle nette et précise. L’accordéon d’Eric Pisani, impeccable d’une sonorité de style musette colle pleinement avec l’ambiance enfantine et quasi onirique ici recherchée. Le public, invité plusieurs fois à pousser la chansonnette avec les artistes, vient finalement saluer avec bruit et chaleur ce spectacle propre à ravir adultes et enfants, devant qui les portes de l’art lyrique se sont ouvertes en grand en ce soir de représentation.