Michael Spyres entre ténor et baryton à L'Instant Lyrique Salle Gaveau
L’automne se lève en ce début d’octobre, mais les rémanences de l’été s’élèvent encore au cœur de la Salle Gaveau où le piano de Mathieu Pordoy et la voix de Michael Spyres ressuscitent, l’espace d’une soirée, la moite fraîcheur de ses nuits. Le chanteur américain, qui a déjà côtoyé plusieurs fois Berlioz (notamment avec La Damnation de Faust et Les Troyens, sous la baguette de John Nelson), offre pour la première fois au public parisien son interprétation du cycle des Nuits d’été.
Un récital important pour celui qui se présente désormais comme un "bariténor" (fusion des tessitures du baryton et du ténor) et qui vient par ailleurs de sortir un disque à ce nom. Après les mélodies de Berlioz, Michael Spyres colore à lui seul la salle de divers rôles pour diverses voix, faisant le grand écart du Figaro du Barbier de Séville au Tonio de La Fille du Régiment et ses fameux contre-ut (chanté lors du bis). Un programme varié, qui permet au chanteur de déployer de façon spectaculaire sa large palette de notes.
Pour la première partie du concert, centrée autour des Nuits d’été, Michael Spyres déploie une voix souple dont l’aisance est due à la justesse insufflée en chaque note, justesse née de l’absence de précipitation d’un chanteur qui prend le temps nécessaire pour permettre à sa voix de rendre chaque détail de la partition avec une précision intense, une vive clarté et une excellente diction. Son Spectre de la rose est ainsi empreint d’une profonde mélancolie, née de cette cadence particulière, et son Île inconnue, qui achève le cycle, lui vaut une première salve d’applaudissements et de bravi.
Le bariténor enchaine ensuite avec des airs classiques de baryton : "Hai gia vinto la causa..." des Noces de Figaro, "Deh vieni alla finestra... » de Don Giovanni, et surtout "Largo al factotum" du Barbier de Séville, le clou du spectacle, qui lui vaut une véritable ovation de la part du public. Et pour cause, car Michael Spyres s’approprie entièrement cet air avec une heureuse familiarité qui déclenche l’hilarité des spectateurs. Il en profite d’ailleurs pour glisser des aigus aussi soudains qu’amusants, allant jusqu’à utiliser sa voix de tête, et démontrer joyeusement l’étendue de sa tessiture.
Il achève le récital par un air du Postillon de Lonjumeau ("Mes amis, écoutez l’histoire..."), d’Adolphe Adam, salué par une effusion d’applaudissements chaleureux. Continuant avec l’humour, Michael Spyres se lance pour le bis avec La Veuve joyeuse de Lehár ("O Vaterland... Da geh' ich zu Maxim"), qui berce joyeusement la salle et surtout, "Ah mes amis quel jour de fête !", où il fait montre, une fois encore, des possibilités de sa voix -et en effet, il peut s’en targuer, n’hésitant pas à se lancer pour projeter d’insolents aigus, quoique légèrement moins maîtrisés que le reste.
La voix cependant, n’est pas seule à l’honneur ici, car au piano Mathieu Pordoy a lui aussi droit à ses moments de gloire, notamment avec Liszt, dont le Sonnet 123 de Pétrarque suit joliment Les Nuits d’été. Ici, Michael Spyres ne chante plus et laisse la part belle au clavier, dont les notes sonnent avec habileté, dans un jeu précis et lumineux qui fait rayonner la musique de Liszt. De même, Mathieu Pordoy joue plus tard un élégant Ravel empreint de finesse, avec À la manière d’Emmanuel Chabrier.
En tant qu’accompagnateur, il est pleinement coordonné avec Michael Spyres, et tous deux partagent d’ailleurs une rieuse complicité, manifeste à la fin du bis où ensemble, ils chantent Bonjour ma belle d'Arthur Henry Behrend (contant les tourments d’un Anglais fouillant désespérément dans le peu de français qu’il connaît pour faire comprendre ses sentiments à une Française), chanson idéale pour clore joyeusement le premier concert du bariténor américain dans la capitale française. C’est toutefois, avec surprise, sur la voix de Mathieu Pordoy que s’achève le récital (lui imitant la jeune Française qui repousse les avances du malheureux Anglais), dans la dernière touche d’humour qui aura enjolivé cette fin de soirée, conclue par la standing ovation d’un public en liesse.