Hilarant désespoir de Papageno à l’Opéra de Saint-Etienne
Seul en scène (ou presque), le baryton Guillaume Paire y livre une prestation aux multiples entrées artistiques. Et si le rôle central est tenu par Papageno, il n’est nullement question ici d’une version réduite, ni même aménagée, de La Flûte enchantée mais d'un spectacle réinventé. Le célèbre personnage de l'opéra de Mozart (et du livret de Schikaneder) se trouve ici “réduit” de son rôle d’oiseleur, à un triste sort de perroquet voué à répéter mécaniquement son texte, chaque soir de nouvelle représentation, sans trouver d’autre saveur que celle de la monotonie. “Le Blues du Perroquet”, tel est ainsi le nom de cette création de la compagnie des Variétés Lyriques, dans laquelle tout semble pourtant commencer comme de coutume. Papageno entre en scène, flûte de pan au cou, et entame l’un de ses grands thèmes (le fameux “Oui, je suis l’oiseleur”) qui en ramène d’emblée à l’esprit mozartien. Mais patatras, donc : le voici pris d’un élan de lucidité, de soudaine révolte face à sa situation, le menant à annoncer purement et simplement “l’annulation du spectacle”. Mais le spectacle continue, évidemment, et débute alors ce qui en constitue finalement l’essence : un questionnement sur le rôle du personnage d'opéra, sur sa fonction plus ou moins majeure au sein d’une œuvre et de son livret, et sur les paroles qui lui sont données à chanter, aussi.
Dans cette proposition où se succèdent passages chantés et parties parlées en français façon one-man show, le public rigole ainsi à voir ce Papageno là, “âgé de 229 ans !” (car né en septembre 1791, à la création de La Flûte), en venir à rire de ce monde lyrique qui a pourtant tant fait pour sa popularité. Et ce, en décortiquant les paroles de ses airs par exemple. Tel celui de l’oiseleur, encore : “Si j’avais un filet pour attraper les filles, je les attraperai par douzaines pour moi seul. Je les enfermerais chez moi, et elles seraient toutes à moi”. Et de commenter ces paroles ensuite, sur un ton que n’aurait pas renié en son temps le plus célèbre des humoristes à salopette : “On me force à chanter ça. Et ça ne vous choque pas, vous ?”. Rires du public, évidemment, qui assiste ici à un spectacle mêlant habilement chant, théâtre et humour, le tout sur des références hautement lyriques. Comme quand ce “perroquet”, lassé de son célibat (Papagena n’a pas eu le temps de venir), en vient à jalouser ces “Comte Amalviva, Don Giovanni ou Leporello, qui ont toujours du succès avec les femmes”. Ou quand il vient à tourner en dérision ce rôle de Carmen aussi, elle qui se jette dans les bras de Don José pour y trouver la mort, “alors qu’elle savait très bien ce qui l’attendait”. Il y a encore cette Traviata “qui meurt toujours tous les soirs, alors que cela fait des années qu’on sait qu’elle est malade !”. Ainsi, ce Papageno en est persuadé : “Le public aime les personnages qui souffrent”. Or lui, au fond, ne se rêve que dans un rôle : celui de Zero Janvier, dans Starmania, lui qui “a du succès dans ses affaires comme dans ses amours, et qui aurait voulu être un artiste”, comme le chantait si bien Claude Dubois.
Une quête d’identité qui ne laisse pas le public de marbre
Le spectacle passe donc du blues du “perroquet” à celui du “businessman”, par un dynamisme incessant dans lequel la musique de Mozart côtoie, dans un même tourbillon d’humour et d’émotion, celle de Rossini (Le voyage à Reims), Schumann (cycle Dichterliebe) ou encore Rameau (Dardanus, “Monstre affreux, monstre redoutable”). Il y a là aussi de la fable (extraits des “Fables enchantées” d'Isabelle Aboulker) ou encore de la chanson et, dans sa quête d’identité, le héros du spectacle en devient poignant en entonnant “La Quête”, justement, celle de Jacques Brel, sommet d’émotion et de poésie portées à la musique de variétés. Un “tube” qui laisse l’audience toute pantoise, et qui vient conclure le cheminement d’un Papageno semblant finalement porté par le poids de la fatalité comme par celui de l’espoir, et qui récolte de chaleureux applaudissements, notamment de la part du jeune public à qui ce spectacle est prioritairement destiné.
Des applaudissements tout droit dirigés à l’endroit de Guillaume Paire et de ses deux acolytes, Florent Chevallier au violoncelle et Adrien Polycarpe au piano. Le premier nommé, récent Baron Popoff en Avignon et Directeur artistique des Variétés Lyriques (qui sont basées tout près de Saint-Etienne, à Roanne), se fend là d’une performance multicartes, se montrant à la fois un habile chanteur, avec une voix généreuse de projection, et d’une belle amplitude sonore sur sa tessiture de baryton. Son incarnation d’un Don Profondo un peu bouffon et franchement polyglotte (à moins que cela ne soit l’inverse) dans le fameux “Medaglie incomparabili” est savoureuse et truculente. Que de transports émotionnels en outre dans cette voix qui, en de soignées demi-teintes et en d’éplorées intonations, donne un joli relief aux “Amours du poète” (les Dichterliebe de Schumann) autant qu’elles honorent l’héritage de Brel.
Un investissement musical et scénique total, donc, qui est aussi à mettre au crédit des deux instrumentistes, aussi justes de musicalité que farceurs lorsque nécessaire. Un spectacle réjouissant, que bien des enfants (et même leurs parents) demandaient déjà à revoir à peine sortis de salle.