Anna Netrebko en récital Met Stars Live : invitation à la mélancolie
Pour son récital dans le cadre de la série mondiale organisée par le Metropolitan Opera House de New York, Anna Netrebko choisit un programme avant tout mélodique, majoritairement composé de chansons russes (Tchaïkovski, Rimski-Korsakov et Rachmaninov). Quatre autres incursions, discrètes, viennent s’y greffer cependant : dans le répertoire français (Debussy, Charpentier et Offenbach), le répertoire allemand (lieder de Strauss) et, très timides, le répertoire italien (“Mattinata”, Leoncavallo) et tchèque (Chants tzigane, Dvořák).
Ainsi, et loin du répertoire belcantiste ou vériste qui a composé l’essentiel de ses récentes apparitions, Anna Netrebko propose un récital intimiste et mélancolique, conçu autour de la nuit, de la nostalgie, de la solitude. L'École espagnole d’équitation (Vienne), sorte de grand temple vide, se prête pleinement à l’enjeu : une estrade soutient la chanteuse et son pianiste dans un espace immense et obscur -symbole, s’il en est, de la période esseulée que traverse la culture. Et rien n’y fait : ni la présentation enthousiaste par la soprano Christine Goerke, ni les nombreux extraits qui -pendant les entractes- ramènent aux spectateurs le souvenir d’un temps plus glorieux pour les maisons d’opéra, le silence qui accueille chacun des morceaux, la solitude qui répond aux interprètes à la fin de la soirée, la distance enfin imposée par l’écran, tous ces éléments mis côte à côte renforcent la douce tristesse qui ressort de ce spectacle.
Mais c’est peut-être là, justement, que réside la particularité de cette soirée et son attrait principal. Loin de proposer des airs d’opéra convenus, entendus et ré-entendus, loin de se plier un peu systématiquement à l’exercice, la chanteuse russe fait le choix d'emporter dans la (sa ?) mélancolie ambiante avec douceur, dévotion et art, en proposant un florilège pertinent au regard de la période actuellement traversée (ne serait-ce que le poème de Verlaine "Il pleure dans mon cœur" mit en musique par Debussy).
La voix s’en trouve changée. Le timbre est toujours aussi rond, le chant beau et opulent, mais il sait s’affiner pour devenir caressant, s’amenuiser pour rappeler une berceuse, et les couleurs, changeantes selon les répertoires et les émotions, sont employées avec une grande intelligence artistique. Ainsi les morceaux français et les lieder sont-ils chantés avec une voix lumineuse et fine, détachée d’un poids qui, depuis les dernières prises de rôle de l’artiste, a eu tendance à ternir la ligne de chant. Les notes aiguës s’en trouvent d’autant plus brillantes qu’elles sont moins forcées et s’épanouissent sur un souffle libéré. De même, le vibrato est beaucoup plus équilibré sur l’ensemble des registres (le haut médium excepté, notamment dans les passages très lyriques des mélodies russes comme "Un rêve" de Rachmaninov ou les élans romantiques de Tchaïkovski).
En somme, la voix paraît rajeunie et beaucoup plus ductile, ce qui participe au plaisir d’écoute autant que la sensibilité et la générosité de la chanteuse. Enfin, et s'il pourrait être reproché à l’interprète une diction parfois hasardeuse, certaines notes prises trop bas, ou certains aigus forcés et à l'accolement audible, la dévotion et le plaisir communiqués parviennent aisément à surmonter ces réserves, outre la beauté intacte d’un timbre caractéristique.
Pour finir, la diva est encore rehaussée par la grande qualité de ses deux partenaires : le pianiste Pavel Nebolsin qui sait insuffler vivacité et souplesse aux morceaux sans jamais cesser de soutenir la chanteuse, et la mezzo-soprano Elena Maximova dont la voix colossale se mêle agréablement à celle de sa compatriote dans le duo “Uzh vecher … Oblakov pomerknuli kraya” (La Dame de Pique, Tchaïkovski) et “Belle nuit, ô nuit d’amour” (Les Contes d’Hoffmann, Offenbach). Le timbre rappelle un cuivre sombre, presque engorgé, mais rien de laryngé dans le son, avec toutefois des notes parfois coincées dans les résonances faciales au détriment de l'homogénéité de la ligne de chant. Ce n'est là qu'un détail face à la richesse des couleurs (des graves notamment) et l'élan de l'artiste qui servent ses interventions.
Le silence qui achève le spectacle ne laisse pas de surprendre, Christine Goerke elle-même le souligne en disant que si elle a souvent eu l'occasion de voir Anna Netrebko, c'est bien la première qu'elle en profite de cette façon.
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