Rautavaara et Mahler à Radio France : "Lorsque le monde se rend. Viens"
Les instrumentistes à cordes font leur entrée dans une salle à demi remplie. La pénombre s'est installée et seule la scène est éclairée, faisant ressortir la couleur des violons, des altos, des violoncelles et des contrebasses comme autant d'arbres dans une étrange forêt.
Mikko Franck entre d'un pas décidé, furtif, et s'empresse de lancer les premières mesures de l'Adagio céleste d'Einojuhani Rautavaara (1928-2016). L'œuvre du compositeur finlandais, écrite entre 1997 et 2000 et créée le 18 mai 2002 à Helsinki sous la direction du même Mikko Franck, reçoit un accueil chaleureux du public parisien. Destiné aux seules cordes de l’orchestre, l’Adagio déploie ses longues phrases noires et son ambiance triste, porté par le son riche et clair de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. L’œuvre séduit d'autant plus que les vers de Lassi Nummi (1982) qui en ont inspiré l'écriture sont donnés dans le programme, permettant au public de rattacher ce flot mélancolique à un univers littéraire évocateur (“[...] Ne te fige pas pour porter le monde comme un arbre noir, isolé, mais viens [...]”).
L’Adagio partage avec la Symphonie nº4 en sol majeur de Mahler l’importance particulière donnée aux cordes même si celles-ci sont rejointes par les autres instruments. La symphonie, créée en 1901, est un peu à part dans le cycle de l’oeuvre de Mahler, notamment en raison de son caractère moins tourmenté voire souriant par moments. Le travail du chef, aidé par l’acoustique de l’Auditorium de Radio France, permet d’entendre très distinctement chaque intervention, donnant une très grande lisibilité de l’œuvre (dans ces conditions, même la harpe sonne avec force). L’atmosphère du premier mouvement impressionne : le tempo est vif, le son clair. Il s’en dégage une certaine joie à laquelle répond le second mouvement plus grinçant et plus mélancolique. C’est à Julien Szulman que reviennent les quelques interventions de violon solo, accordé un ton plus haut : les lignes sont souples et sonores, une de ses cordes se casse sous l’énergie de ses pizzicati, l’empêchant de jouer au mieux les quelques phrases qui lui restent. Peut-être est-ce une conséquence de la longueur du mouvement suivant mais l’orchestre y semble moins à son aise : des petits décalages apparaissent chez les cors ou encore dans les ralentis demandés par Mahler. Le propos semble perdre un peu de son intensité même si le public admire toujours le geste du chef et la qualité intrinsèque des instruments.
Jodie Devos fait son entrée pendant l'acmé qui clôt ce troisième mouvement. D'une démarche discrète, la chanteuse belge se fond dans l'orchestre au côté du chef et attend, sourire aux lèvres, pleine déjà des vers bucoliques qu'elle va interpréter. Ce quatrième mouvement, construit autour du Lied Das himmlische Leben (la vie céleste), devait initialement appartenir au recueil de lieder Des Knaben Wunderhorn (composé entre 1892 et 1898) mais Mahler décide, durant l'été 1899, d'en faire la pièce maîtresse de sa symphonie et construit les autres mouvements à partir de ce poème (extrait d'un recueil d'Achim von Arnim et Clemens Brentano). Jodie Devos apporte à ces vers festifs un timbre rond et légèrement engorgé, notamment dans le bas medium de la voix. La soprano privilégie une diction marquée de l’allemand, souvent au détriment du legato des phrases, et son registre grave, manquant de couleur et de puissance, rend certains passages trop confidentiels. Toutefois, l’artiste apporte une fraîcheur qui se mêle idéalement au motif de l'enfance perdue qui traverse ce dernier mouvement. Une certaine crispation de la mâchoire et du reste du corps empêchant cependant à la voix de s'ouvrir véritablement.
La soirée s'achève sous des applaudissements vigoureux. Ici aussi, le plaisir de retrouver le spectacle vivant est palpable et ne peut que faire repenser à l'invitation au partage qui traverse le texte simple et fort de Nummi : “Lorsque le monde se rend. Viens.”