Le Chevalier à la rose fait succomber Bastille
Peter Rose (Baron Ochs) et Michaela Kaune (la Maréchale) © Emilie Brouchon / Opéra national de Paris
Hymne au crépuscule de la Vienne glorieuse, Le Chevalier à la rose nous parle des affres du temps qui passe. Avec lui, Strauss nous offre une œuvre teintée de nostalgie et d'humour avec pour toile de fond une intrigue faite de quiproquo.
Reprendre une mise en scène qui date de 1995 n'est jamais une chose facile mais lorsqu'il s'agit de Wernicke, les choses passent forcément mieux. Taillée à l'époque pour Salzbourg ainsi que -ça tombe bien- pour la scène de l'Opéra Bastille, la production de Wernicke retrouve sa mère patrie et épouse son immensité à la perfection. Si les costumes et la fausse peinture des décors paraissent bien surannés, le faste de la Vienne impériale du XVIIIe siècle se miroitant dans les gigantesques panneaux l'emporte. Kaléidoscope de l'émoi, paravents occultant les sentiments, portes dérobées complices, tout concoure à teinter l'ensemble de la gaieté mozartienne que Strauss nourrissait pour son œuvre, succédant à son intense Elektra. Au gré de l'action, les masses de serviteurs affluent pour envahir la scène ou les décors enserrent les personnages dans l'intimité de leur cœur. Les effets comiques peuvent aujourd'hui paraître figés ou convenus mais ils fonctionnent toujours. L'atmosphère est digne de la bonne humeur des Noces et l'on sent que Wernicke se joue des classes sociales.
Erin Morley (Sophie) et Daniela Sindram (Octavian) © Emilie Brouchon / Opéra national de Paris
Le charme opère aussi car la distribution est particulièrement bonne ce soir. Si Anja Harteros manque à l'appel, la Maréchale de Michaela Kaune, arrivée avant l'heure (elle n'était initialement prévue qu'à partir du 22 mai), apparaît divine. Sensible et délicate, bienveillante et douce, la soprano, à la projection adéquate, creuse le trait de la femme vieillissante avec subtilité. L'angoisse du temps qui passe nous arrive en pleine figure et nous rend les mains moites. Face à elle, l'Octavian de Daniela Sindram délaisse progressivement une virilité visant à séduire son aînée pour épouser le corps d'un jeune homme galvanisé par un amour virginal. Erin Morley (voir son interview à Ôlyrix) constitue une Sophie idéale. Ses aigus accompagnent son allemand impeccable, tandis que son jeu d'actrice est jubilatoire. Touchée par la grâce, un point rebelle, sa Sophie est de caractère. Une jeune femme libre. Le final de l'acte III est sublime et l'on sent dans l'auditoire la parfaite alchimie qui s'émulsionne entre la fosse et le timbre symbiotique de ses trois belles interprètes. Pièce maîtresse de cette comédie en musique, le Baron Ochs de Peter Rose s'avère épatant. Sans faire de l'excès de zèle, il fait ostensiblement traîner ici et là ses mains baladeuses et ses yeux voraces. Dans ce portrait de l'homme libidineux et trop hédoniste, son Baron en est presque attachant. Sa voix de basse permet de hisser l'acte II à de beaux sommets. Qu'ils s'agisse de l'égoïste Faninal de Martin Gantner, du chanteur italien de Francesco Demuro (remplaçant Fabio Sartori initialement prévu) aux accents bien latins ou encore du Valzacchi de Dietmar Kerschbaum, les seconds rôles sont bien servis.
Après les éblouissants Maîtres Chanteurs, Philippe Jordan offre une nouvelle fois à Bastille de l'or sur un plateau d'argent. Dès l'ouverture, sa baguette conduit l'Orchestre national de Paris à un haut niveau. L'effervescence viennoise se répand en fines bulles, la clarté prend le pas sur la masse orchestrale straussienne, les cordes se gonflent et les cuivres sont bien tenus.
Le Chevalier à la rose, mise en scène de Herbert Wernicke, direction musicale de Philippe Jordan, jusqu'au 31 mai à l'Opéra Bastille. Achetez vos billets sur Ôlyrix (à partir de 205 €).
Vous avez vu la production ? Ecrivez votre critique sur Ôlyrix !