La Deshayes et le Grapperon : fables lyriques à l'Opéra de Massy
Habitués à travailler ensemble dans ce répertoire, le chef n'hésite pas à sauter et se tordre pour accompagner l'orchestre dans ses inflexions avec assurance et souplesse : les deux qualités de cette phalange qui enchaîne grande précision et grand legato, car ce sont les deux qualités de cette musique aux mouvements virevoltants vers des lignes souples et chantantes. Les cavalcades emportent le public dès le début de la soirée et jusqu'à sa conclusion. Toutes les têtes dodelinent alors au rythme du Galop infernal (dans Orphée aux Enfers d'Offenbach).
Individuellement parlant, les musiciens n'ont pas des qualités de solistes (leurs solos exposent des lignes courtes et peu vibrées) mais ils allient ensemble leurs timbres avec une écoute chambriste, au service d'éclats tutti symphoniques. Cette variété instrumentale soutient la grande diversité du programme qui enchaîne sans transition une série d'ouvertures (débuts de Madame Favart, Les Deux Aveugles, Monsieur Choufleuri, Les Bavards, La Fille du tambour-major), comme on ouvre autant de portes sans en refermer aucune. L'effet pot-pourri désarçonne (même si les cavalcades et galops sont bien accrochés par l'Orchestre sous la battue du chef qui dirige comme s'il chevauchait : bondissant sur place et réunissant ses mains comme pour tenir les rênes), mais la frustration de cet effet compilation est aussi le désir positif d'en entendre davantage.
Karine Deshayes multiplie elle aussi les univers, les histoires diverses, les effets musicaux variés. Mais le répertoire qu'elle défend ce soir en contrepoint est fait ainsi : enchaînant les Fables de La Fontaine mises en musique par Jacques Offenbach (ici orchestrées par Jean-Pierre Haeck qui, souffrant, a dû renoncer à diriger le concert). Ces Fables ont beau être de petites formes, elles demandent une voix immense. La rivalité entre le rat des villes et le rat des champs se voit dépeint en combat titanesque, la cigale et la fourmi est un sommet de cruauté, Pierrette pleure son pot au lait et ses rêves évanouis comme une Tragédie Grecque. La chanteuse assume pleinement l'immensité expressive requise, mais avec une souplesse au service des nuances et une richesse au service des différents personnages. Son registre de mezzo-soprano offre en une phrase un grave très richement appuyé et un suraigu éclatant. Le lyrisme ne cesse de se déployer, de se libérer, en balayant l'ambitus, arrondissant les voyelles, affirmant les consonnes (indispensable lorsqu'il s'agit dans une fable de faire rimer sans les confondre, le prône du curé et le trône du roi).
L'Opéra Théâtre de Massy fait l'effort rarissime de surtitrer le concert. Un geste fort louable, quand bien même il est ici inutile puisque la prononciation de la chanteuse permet de comprendre toutes les paroles, et puisque le public se remémore sa jeunesse d'écolier avec ces textes de fables apprises par cœur, comme l'incontournable dialogue entre Le Corbeau et le Renard. Des fables moins célèbres sont également proposées : Le Berger et la Mer, Le Savetier et le Financier qui narrent eux aussi de petits drames passionnants et moralistes.
Ce concert vaut bien un hommage, sans doute !