Une Dessay ardente au Théâtre du Châtelet
Natalie Dessay (Fosca), Ryan Silverman (Giorgio Bachetti) et Erica Spyres (Clara) © Théâtre du Châtelet - Marie-Noëlle Robert
Le Théâtre du Châtelet poursuit sa redécouverte de l'œuvre de Sondheim avec le lacrymogène Passion, inspiré du film Passione d'amore d'Ettora Scola. L'histoire qui a cours au XIXe siècle, simple en apparence, évoque la passion naissante entre Fosca, une femme laide et souffrante et Georgio, un officier entretenant une liaison amoureuse mais désormais par correspondance avec Clara, une ravissante mariée. Si Georgio est d'abord repoussé par l'apparence disgracieuse de Fosca, il succombe peu à peu à une beauté qu'il ne soupçonnait pas, bien plus profonde. Tragique, l'issue de cette passion débouchera sur la mort de Fosca et la révélation d'un amour transcendant.
Multipliant les collaborations avec le monde musical, Fanny Ardant qui a fait sienne la Cassandre de Michael Jarrel ou a déjà réglé Véronique, s'empare avec subtilité de cette tragédie d'un autre genre. Dans une esthétique pudique et très noire, Ardant libère l'essence poétique de l'œuvre. Hormis ce ridicule plateau télécommandé sur lequel elle parcourt la scène, son traitement des épisodes épistolaires exacerbe avec finesse l'emprise sentimentale et charnelle de Clara. De même que la chorégraphie de Jean Guizerix exécutée par la jeune Charlotte Arnould sublime le fash-back de Fosca. Les immenses écrans peints de Guillaume Durrieu qui cloisonnent avec force l'espace scénique, les éclairages économes de Urs Schönebaum et les robes racées de Milena Canonero composent un tableau d'une beauté aussi étrange qu'attirante. Bien-sûr, en ce jour de première, certains ratés donnent l'impression d'une générale : Erica Spyres loupe sa sortie en étant gênée par la cuisinière, les galons de Ryan Silverman tombent à peine après avoir été mis. A l'évidence, on pardonnera ces imprécisions à mille lieux d’entacher l'élégance d'une mise en scène qui réunit une équipe artistique de génie.
Natalie Dessay (Fosca), Ryan Silverman (Giorgio) et Erica Sypres (Clara) © Théâtre du Châtelet - Marie-Noëlle Robert
Les talents d'actrice de Natalie Dessay ne se démentent pas, ils nous explosent au visage. Fosca frénétique et obsédée, la soprano enveloppe le rôle -davantage écrit pour une mezzo-, de sa voix de charme, tantôt envoûtante, tantôt sanglotante. Sa Fosca n'est pas fébrile, elle est farouche et se moque des conventions. Dessay ne manque d'ailleurs pas de souligner la dimension presque comique que peut revêtir l'insistance de Fosca. Comment alors ne pas lui succomber ? Elle qui prend tous les risques et nous tire les larmes. Bien sûr, l'anglais que Dessay chante pour la première fois dans un rôle aussi dense reste perfectible. Et bien que sa diction soit la plus appliquée du plateau, on sent par moment l'immense chanteuse hors de sa zone de confort. Face à elle, avec une voix puissante et une aisance ostentatoire, Ryan Silverman campe un Giorgio saisissant. Passant de l'homme révulsé au passionné, Silverman nous montre nettement comment le sentiment amoureux s'instille goutte à goutte en Giorgio pour finalement le transfigurer. Dans ce triangle amoureux, Erica Spyres n'a pas vraiment le beau rôle. Reléguée à l'arrière-plan ou revenant par moment comme une tentation charnelle lancinante, sa Clara est lumineuse. Si parfois ses aigus se font stridents, elle réussit à rendre le personnage antipathique en forçant le trait de l'amante égoïste.
Sublime est la performance de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, qui sous la baguette d'Andy Einhorn, aile la musique de Sondheim sans jamais en lester l'intensité. Du puissant tumulte qui marque les séparations de Fosca et de Giorgio à la délicatesse des cordes et des vents qui marquent les moments heureux, la phalange exalte avec brio le romantisme qui imprègne cette œuvre si émouvante.
Passion, mise en scène de Fanny Ardant, direction musicale d'Andy Einhorn, Théâtre du Châtelet, jusqu'au 24 mars 2015. Acheter mes places.