Don Giovanni à Nantes et Angers : une autre facette de l’œuvre
C’est une version nouvelle, cassant les codes de l’œuvre par une mise au placard des didascalies, que livrent Moshe Leiser et Patrice Caurier à Angers Nantes Opéra. Décalée, transposée et modernisée, cette version place l’histoire devant un hall d’immeuble, où errent deux jeunes perdus, Don Giovanni et Leporello. Le premier, dans son mépris des lois et sa quête féminine, finit par atteindre un point de non-retour en assassinant le père de Donna Anna, une jeune femme qu’il a tenté d’abuser. S’ensuit une fuite en avant désespérée au cours de laquelle l’abus de drogues et de nombreuses tentatives de séduction maladroites dressent devant lui ses victimes, prêtes à tout pour l’arrêter. Loin du Don Giovanni riche et charmeur généralement joué, celui-ci paraît profondément fragile, souvent hésitant, sans faste, son festin du dernier tableau se résumant à un sandwich industriel. Il n’est pas l’habituel archétype du séducteur mais un simple délinquant toxicomane en perdition, sans limite. Après sa sérénade du second acte (« Deh vieni alla finestra », très joliment interprétée, au demeurant, par John Chest et le mandolino qui l’accompagne) ne parvenant pas à attirer la camériste de Donna Elvira, il s’écroule d’ailleurs, recroquevillé contre un mur d’immeuble, provoquant la pitié du spectateur. L’ensemble, extrêmement cohérent, apporte une lecture nouvelle de l’œuvre, soulignant l’intemporalité de son propos. La direction d’acteurs des metteurs en scène, formidable, met en valeur une distribution de qualité.
John Chest et RubenDrole dans Don Giovanni (© Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra)
Chantant son premier Don Giovanni, John Chest apporte un regard nouveau sur le personnage. Jouant peu de son physique de jeune premier, il interprète au contraire un Don Giovanni en perdition, séduisant plus par ses mots et son attitude que par des sourires enjôleurs. Vocalement, le jeune baryton parvient à allier puissance et sensibilité, prodiguant des aigus caressants sur un timbre de bronze. A ses côtés, Ruben Drole, très bon comédien (irrésistible dans sa danse du finale de l’acte I), offre un Leporello très attaché à Don Giovanni malgré quelques colères. Vocalement, il aura fallu au jeune chanteur une petite heure pour se chauffer (avec quelques problèmes de justesse et de rythme à la clef), avant de délivrer une prestation bien plus convaincante, d’un timbre chaud et sucré bénéficiant d’une prononciation brillante. Rinat Shaham, qui était malade pour cette représentation, interprète malgré tout une très belle Elvira, qui parvient à capter l’auditoire, seule devant le rideau, durant un « In quali eccessi » pour lequel elle fait montre d’un souffle bien maîtrisé.
Don Giovanni par Caurier et Leiser (© Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra)
La soprano Gabrielle Philiponet délivre une performance remarquable en Donna Anna. Vocalement, son timbre rond appuie un vibrato parfaitement maîtrisé. La fureur exprimée dans les graves déchire les cœurs. Dramatiquement, elle impressionne par la justesse des sentiments exprimés, malgré leur formidable violence. Elle est habitée par son personnage, sans sur-jouer, et sa performance sur la scène d’ouverture crédibiliserait à elle seule la situation et l’univers créé par la mise en scène. Le Don Ottavio de Philippe Talbot, sorte de Monsieur Tout-le-monde dépassé par les événements, est de bonne tenue, montant en puissance au fil de l’opéra jusqu’à un « Della sua pace » fort mélancolique, dont les vocalises s’écoulent comme un filet d’eau agité. Le Masetto de Ross Ramgobin apporte une grande fraicheur et un dynamisme certain à un rôle souvent interprétée de manière caricaturale. Sa vivacité n’empêche pas une très belle emprunte vocale, puissante et fraiche. Elodie Kimmel, Zerlina pas toujours à l’aise, est cependant à créditer d’un « Vedrai, carino, se sei buonino » puissant et touchant. Andrew Greenan, de sa voix caverneuse et puissante, incarne un parfait Commandeur, inquiétant et implacable à souhait.
Dans la fosse, l’Orchestre National des Pays de la Loire est dirigé sans grande nuance par Mark Shanahan, qui tire tout de même de magnifiques tableaux, d’une grande majesté. Le finale de l’acte I, notamment, fut d’une grande qualité musicale. Si, globalement, le public a peu applaudi entre les airs, il a réservé un accueil chaleureux aux interprètes au moment des saluts.
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