Antoinette Dennefeld et l’Orchestre de chambre de Paris : vent Mozartien, vent des Gobelins
Le public prend place sur les sièges et transatlantiques aux côtés de la statue de Colbert, face à la Chapelle Saint-Louis dans l'Enclos (la cour) de la Manufacture des Gobelins à Paris. Cette fabrique fondée en 1601 par Henri IV pour produire des tapisseries met ainsi ce soir à l'honneur la musique, un autre art qui sait tisser harmonieusement différentes lignes, des points et contrepoints richement colorés.
Antoinette Dennefeld rend hommage aux teintureries et tapisseries par la couleur extrêmement vive de sa robe jaune canari et les motifs tissés d'un haut floral. La voix s'y rapporte, riche et ornée. Le large vibrato accroît la projection sans perdre la ligne mélodique ni l'ancrage légèrement poitriné, pas davantage que les intentions dramatiques et la résonance très sûre, mettant toute la bouche à profit. La prononciation italienne reste limpide, du lento au presto, hélas la justesse se perd complètement dans les vocalises (entre autres raisons car le souffle s'y fait court).
L'Orchestre de chambre de Paris introduit les airs par les ouvertures des opéras correspondant, contribuant avec pertinence à installer les différentes dramaturgies des quatre opus lyriques au programme. S'épanouissant pleinement dans ces ouvertures instrumentales, la phalange conserve même son intensité en la ramenant vers un volume plus feutré mais non moins impliqué pour laisser de fait sa place à la chanteuse dans les récitatifs & arias. L'attention des instrumentistes pour la mezzo semble même supérieure à celle régnant parmi les pupitres : les violons I et II se décalent lorsqu'ils doivent jouer ensemble, toutefois la précision est au rendez-vous de leurs interventions en écho, avec une grande attention pour se répondre en stéréophonie. D'autant que leurs grands coups d'archets suivent les directions claires données par la baguette du chef Duncan Ward. Surgissent ainsi les coups de poignard menaçant le destin de Titus et de l'Empire romain. Les bois articulent avec précision et prestement, tandis que les cuivres et timbales, impeccablement en place, font résonner leur timbre sur le pavé de la cour.
Un dernier interprète, ni annoncé au programme ni prévu par Mozart, s'invite dans ce concert en cour mais en plein air : Éole, qui semble se mettre au diapason de la musique. L'auditoire constate en effet avec stupeur et amusement que la bise semble se faire plus douce lorsque la voix passe pianissimo avant que le vent ne souffle plus fort sur les crescendi orchestraux. Idéal également pour rafraîchir le public et apaiser les passions provoquées par les deux airs de Sesto, porter délicatement l'amour candide de Chérubin et Dorabella, ainsi que l'amour trahi de Donna Elvira. Même en plein air et aux quatre vents, la voix garde son intense précision, celle-là même des instruments qui déploient avec force et netteté les coups du destin frappant Don Giovanni, avant la légèreté de ses danses et menuets.
La voix et les instruments, nullement gênés, savent s'appuyer sur le vent, qui offre en outre un spectacle cocasse tout au long du concert, à chaque tourne de page. Les cordes suivant à deux par pupitre comme d'habitude, un seul musicien tourne la page de la partition, ou tout du moins essaye. L'opération traditionnellement anecdotique devient un travail épique et d'équipe, un défi relevé à deux : une paire de mains se chargeant des pinces qui retiennent les pages, tandis que l'autre bataille avec les éléments pour en tourner une (si possible une seule) mais en continuant tout de même à jouer un peu. Cela entraîne autant de chutes de pince que de sourires parmi les musiciens et le public, sourires culminant jusqu'aux chaleureux applaudissements en fin de soirée. Le chef ayant privilégié le pantalon à pinces plutôt que la partition à pinces, il abandonne bientôt l'idée de retenir les pages et dirige avec assurance par cœur devant un doux moulin de feuilles. Le chef et l'orchestre résument leur performance par un dernier morceau : la Symphonie nº 102 de Haydn, l'occasion d'alterner différents styles (un premier mouvement Beethovenien, un deuxième classique, un troisième en danses paysannes et un quatrième aux bondissantes cavalcades rossiniennes).