Pichon, Pygmalion et l’Académie Mozartienne d’Aix-en-Provence
Pendant
l’Académie, volet pédagogique du Festival d’art lyrique, une
poignée de chanteurs triés sur le volet reçoivent les conseils de
la soprano Edith Wiens (enseignante à la Juilliard School de New
York). Leur concert final, donné dans l’Auditorium Campra du
Conservatoire Darius Milhaud, salle à l’acoustique
particulièrement adaptée, réunit un programme d’airs et
d’ensembles connus ou moins connus de Mozart.
Leur choix, établi en amont, incombe sans doute à ce fin programmateur qu’est Raphaël Pichon (compte-rendu de son ouverture du Festival 2019 dans un programme autour du Requiem), tant leur alternance oscille de manière cohérente entre les formats et les tessitures, le seria et le buffa, en dépit de quelques petits changements de programme de dernière heure.
Le format du concert lyrique permet de mettre en lumière l’orchestre et son directeur, et de mieux prendre la mesure de la qualité sonore qui émane de la fosse (dès l’ouverture du Schauspieldirektor pour introduire le concert). Tout d’abord, une direction à la gestique perlée, depuis un corps engagé tout entier dans la production et le maintien d’une pulsation qui doit encore beaucoup au baroque, mais qui s’aventure avec Mozart, sur les terres joyeuses du cantabile (chantant) et de ses respirations naturelles. Ensuite, des instrumentistes au service d’un répertoire qui sollicite avant tout les bois (clarinette, hautbois, bassons), parfois les cuivres, autant de solistes aimant avant tout concerter et s’unifier dans la profonde limpidité des cordes et le soutien magiquement coloré du pianoforte (le piano à l’époque de Mozart). Enfin, un sens mutuel de l’écoute, qui produit, avec le geste de retenue du chef, une même respiration silencieuse dans les parties les plus lentes et tragiques exprimées par les chanteurs (Idoménée, La Clémence de Titus).
Ces derniers, couvrant tous les registres, ont leur air de soliste -d’opéra ou de concert- sauf la basse danoise Nicolai Elsberg, légèrement souffrante. Ils se rencontrent ou s’affrontent en duo, et se réunissent à trois reprises dans des ensembles aux jeux scénographiques de galopins particulièrement irrésistibles : mimiques, chamailleries, chatouilles, et autres jeux de main (Cosi fan tutte, Les Noces de Figaro).
Soprano léger colorature, Julie Roset offre un troublant timbre d’enfant dans le medium, fruité dans l’aigu et qui s’affine à nouveau dans le suraigu (air de concert Voi avete un cor fedele). La soprano française Marie Perbost, solidement placée, vocalement et physiquement, correspond à l’image sonore d’une ample voix mozartienne (air de concert Alma grande e nobil core).
La mezzo française Adèle Charvet s’empare d’une partition aux éclats et aux silences redoutables. Ses graves ambrés s’enroulent à la ligne concertante de son duo avec le cor de basset (Sesto, La Clémence de Titus). Elle sera l’un des triomphes de la soirée. Une autre mezzo française, Brenda Poupard, présente une voix fine, manquant encore de projection, mais au vibrato émouvant et qu’elle sait taire en fin de phrase dans le célébrissime Voi que Sapete.
Le ténor américain Eric Ferring a la voix d’un jeune héros solaire (Ferrando, Cosi fan tutte, Tamino, La Flûte enchantée), tandis que le ténor canadien Charles Sy présente une suavité chantante, une ductilité charnue dans le vibrato. Le baryton ukrainien Yuriy Hadzetskyy apporte sa projection nerveuse, sa longueur de souffle, et son timbre coloré sur toute l’étendue de sa tessiture (Nardo, La finta giardiniera).
La basse danoise Nicolai Elsberg joue de sa très grande taille dans ses duos avec ses plus petites partenaires, notamment celui, irrésistible d’Osmin et Blondchen (Julie Roset) dans L’Enlèvement au Sérail. Enfin, le timbre de la basse américaine Alex Rosen est structuré par une belle résonance intérieure. Lui, comme ces camarades, est capable de passer du sourire au drame en une seconde (de Leporello à l’air de concert Così dunque tradisci).
L’enthousiasme de la scène est contagieux et se traduit par une ovation longue et enjouée de la part d’un public qui s’est offert un bain de jouvence mozartien.