La Betulia liberata de Mozart à La Seine Musicale
Dans la même veine que l’opéra seria Mitridate (œuvre devenue emblématique des Talens Lyriques), l’unique oratorio que Mozart composa à 15 ans, témoignage de l’instinct dramatique du jeune artiste, est abordé en connaisseur par Christophe Rousset. Le chef rend hommage à la grande variété expressive de cette Béthulie libérée avec le lamento de Cabri, l’air de bravoure d’Ozia ou l’air de fureur d’Achior sans diversifier toutefois l’enchaînement des récitatifs et des airs. La monochromie dans les choix de tempi et de nuances raisonnables semble émaner également du livret de Metastasio qui, inspiré de l’épisode biblique consacré à Judith, en évacue les éléments les plus dramatiques comme la violence et l’amour d’Holopherne ou sa décapitation, au profit de discussions sur la croyance en l’existence d’un Dieu unique, la conversion au judaïsme d’un prince ammonite et le repentir des juifs qui n’ont pu admettre que leur Dieu pouvait se servir d’une femme pour les libérer.
Le rôle d’Ozia offre une partie de ténor très développée que Pablo Bemsch assume consciencieusement sans pour autant en rendre toute la richesse expressive. Agrippé à sa partition, il endosse son personnage sans théâtralité et sa voix, bien qu’homogène et timbrée, ne délivre que de rares nuances. Sa vocalité précise sur les vocalises s’affirme cependant progressivement, offrant dans son dernier air (« se Dio veder tu vuoi ») des arrivées délicates sur les notes aiguës. Il dialogue avec le chœur dans des pages d’une grande beauté (« Pietà, se irato sei »), maintenant le phrasé d’une voix vibrante et homogène manquant cependant de variété de couleurs.
La soprano Sandrine Piau est Amital, noble dame israélite, de toute sa voix et de toute son expressivité. Avec une autorité renforcée par des gestes de bras et des mouvements de tête, elle accuse Ozia d’être responsable par son inflexibilité de toute la détresse endurée par la population. Sa voix homogène et souple se colore selon qu’elle exprime la colère dans une projection vibrante, la préoccupation à l’aide de vocalises périlleuses et la contrition dans une grande douceur entrecoupée de silences habités. Couronnée d’un vif succès, elle reçoit un bouquet de fleurs d’un spectateur-fan et semble même quelque peu gênée d’être la seule ainsi récompensée.
Giuditta est incarnée par la mezzo-soprano Teresa Iervolino avec une expressivité aussi intense que le rose de sa robe et une puissance inébranlable dans les récits comme dans les airs. Pour ce faire, elle convoque fréquemment la voix de poitrine et use largement de la couverture des sons (les vocalises commencées « A » se terminent très souvent sur « O »). Elle raconte lors d’un long récit accompagné sa visite chez l’ennemi et le meurtre d’Holopherne les bras levés, s’adressant aux uns et aux autres sans perdre de vue le chef.
Nahuel di Pierro demeure un Achior convainquant tant son interprétation est expressive et théâtrale. Les récits sont teintés de mille couleurs et d’une grande variété d’accentuations. Il groove même dans l’introduction de l’air de fureur « Terribile d’aspetto » au cours duquel il décrit Holopherne d’une voix résonnante et riche, les vocalises détachées rendant le terrifiant du personnage et les sons détimbrés évoquant la peur qu’il inspire. C’est dans une grande suavité et en voix mixte qu’il répudie sa religion polythéiste et jure de n’aimer que le Dieu d’Abraham.
Les deux rôles de Cabri et Carmi sont interprétés par la soprano Amanda Forsythe au cours de deux airs engageants. Cabri décrit la misère qui règne à Béthulie à l’aide de grands intervalles que la chanteuse réalise aisément, contrôlant son vibrato dans l’évocation des pleurs tout en gardant une homogénéité sur toute la tessiture. Carmi raconte la débâcle de l’ennemi dans un air rapide et avec un grand engagement.
Le tragique de l’œuvre émerge dès l’ouverture, qui requiert pas moins de quatre cors et deux trompettes (tous naturels, sans pistons), que Les Talens Lyriques interprètent vivement. Le continuo offre une variété de couleurs faisant alterner le clavecin pour la narration et l’orgue dès qu’il s’agit de Dieu. La force dramatique repose également sur des pages chorales éloquentes qu’interprète le Chœur accentus préparé par Christophe Grapperon. L’homogénéité et la cohésion sonore de l’ensemble font des trois interventions du chœur des moments clés, qui respectent toutefois la retenue inspirée par le chef mais que le public quant à lui, ne conserve guère, applaudissant chaleureusement les interprètes.