L’Importance du nonsense Constant au Théâtre de l’Athénée
La lecture du metteur en scène suisse et Directeur artistique du Nouvel Opéra de Fribourg (coproducteur du spectacle avec l’Athénée) Julien Chavaz se focalise sur l’aspect absurde de l’intrigue, mais aussi sur le croisement miraculeux (et inconscient) des chemins de tous les personnages qui partagent le même destin. De ce fait, toutes les toiles des murs-cloisons, latéraux ou bien horizontaux (qui descendent pour changer les décors) sont peintes en lignes multicolores et croisées rappelant le motif écossais, mais acidulé. Chacune de ces couleurs est représentée par un des personnages (dont chaque costume et perruque est unicolore) et seul le valet Lane (incarné par Vincent Casagrande) les porte toutes imprimées sur son costume (réalisés par Séverine Besson). Chavaz semble ainsi rebondir sur les vers de l'Ode à la joie qui dans la version de Barry met l’accent sur Alle Menschen werden Brüder (Tous les hommes deviendraient frères). Ces idées trouvent aussi leur écho dans le placement symétrique des objets sur scène et les mouvements des personnages, toujours dans une formation géométrique. En revanche, afin de traduire ce côté risible du texte de la comédie, le metteur en scène recourt aux mouvements incohérents pour ses héros, très souvent en conjonction avec des passages grotesques résonnant depuis l’orchestre. Le chant du chœur qui apparaît au début du premier acte est entendu depuis un frigidaire ouvert.
Dans ce plateau vocal anglophone, le rôle principal de Jack Worthing est assuré par le ténor kazakho-américain Timur (Bekbosunov), artiste spécialisé en musique contemporaine. Sa voix timbrée se déploie dans le registre moyen, où il manifeste la puissance et la maîtrise du phrasé, mais qui perd toutefois un peu de volume dans les aigus et ne passe pas le son orchestral forte. Ce retrait, qui se sent même dans les duos et ensembles, ne nuit pas à sa justesse dans les passages atonaux sautillants ou lorsqu’il entonne une gamme chromatique (par demi-tons) dans la scène « dramatique » de la révélation de ses origines à Lady Bracknell. Ed Ballard en Algernon Moncrieff est un baryton au timbre rond et chaleureux qui est en quelque sorte le miroir de son ami/frère Jack. Il a beau veiller à une prononciation claire et compréhensible de l’anglais, il est moins convaincant en vocalises et dans les hauteurs où sa voix se tend, avec un son aéré. Le rôle travesti de Lady Bracknell est confié à Graeme Danby. Le chanteur porte une large palette de couleurs et une grande étendue vocale, depuis les profondeurs jusqu'à la voix de fausset. Il est toujours en maîtrise de son instrument. L’aspect autoritaire du personnage sur scène correspond à l’autorité et à la puissance sonore de Danby : quand il chante/déclame l’hymne européen, il fait preuve d’une remarquable précision rythmique et d'une articulation nette du texte allemand, grâce à la longueur du souffle qui lui permet de prononcer plusieurs mots (allitérés) très rapidement.
Parmi la distribution féminine, la mezzo-soprano néerlandaise Nina van Essen est Gwendolen Fairfax arborant une grande voix (de poitrine) qui se projette loin et une épaisseur vocale dans le haut registre. Elle s’entend bien avec l’orchestre, mais aussi avec Cecily dans le très délicat duo des mégaphones, lorsqu’elles chantent prestement les notes en alternant avec la bouche fermée. Alison Scherzer (Cecily Cardew) est une soprano aux aigus pointus qui parfois brouillent la compréhension du texte chanté. Néanmoins, sa ligne vocale perçante reste musicale et fine, variée en couleurs et nuances dynamiques. Miss Prism de Jessica Walker est un personnage caricatural traversant les moments délirants (tremolo des cors par exemple), avec des mimes funambulesques et une voix polyvalente qui couvre plusieurs registres. Son mezzo clair et suave chante aussi en allemand, mais avec moins d'éloquence qu’en anglais. Cependant, elle interprète avec précision les passages bouche fermée lorsqu’elle inspecte joyeusement le sac de voyage dans lequel fut abandonné Jack Worthing (quand il fut bébé).
L’Orchestre de Chambre Fribourgeois sous la direction de Jérôme Kuhn offre un ensemble harmonieux, aux cuivres énergiques qui s’alignent bien avec les autres sections. Ils collaborent avec le plateau, en dépit de quelques légers décalages rythmiques. Le public salue pourtant sans enthousiasme débordant les interprètes et le compositeur.