L’Instant Lyrique de Jean-François Borras, éminent serviteur de l’opéra français
Le ténor
Jean-François Borras mène depuis quelques années maintenant une
fort brillante carrière internationale qui le conduit notamment à
l’Opéra d’État de Vienne, de Bavière, à Covent Garden ou au Metropolitan Opera de New York. Cette année
2019 le verra très heureusement se produire à plusieurs reprises en
France, tant à l’Opéra de Marseille dans Faust de Gounod
(février), qu’à l’Opéra Bastille (Carmen en avril et mai), puis au Théâtre du Capitole de Toulouse pour un Werther très attendu auprès de la Charlotte de Karine Deshayes (en juin, également à réserver sur Ôlyrix, dès 19 €). Werther de
Massenet ouvre d’ailleurs ce récital avec l’air d’entrée du
ténor C’est donc ici la maison du Bailli, ô nature… puis
Lorsque l’enfant paraît et enfin le Lied d’Ossian.
Dans le cadre intimiste de la ravissante salle de concert de l’Éléphant Paname, la voix de Jean-François Borras semble presque surdimensionnée, large et puissante. Il peine à canaliser des moyens qui se sont beaucoup affirmés. Pour autant, il fait valoir un haut médium très corsé, une projection assumée, une diction parfaite, mais aussi un aigu qui tend quelquefois à se rebeller lorsqu’il s’agit d’alléger. Ainsi, le si bémol piano de l’air de la fleur de Carmen apparaît-il fort hésitant, sinon rétif. Si les stances "Source délicieuse" de Polyeucte (opéra de Gounod) manquent encore de noblesse et de hauteur, l’air du tombeau de l’acte V de l’ouvrage apparaît bien plus concluant et empli d’une juste émotion.
À ses côtés, il convie la soprano italienne Cristina Giannelli. Si elle possède assurément une grande voix, l’aigu sature rapidement et le répertoire français n’apparaît pas le plus propice à la mettre en valeur. L’air de Juliette "Dieu ! quel frisson court dans mes veines ?" (acte IV de Roméo et Juliette) la malmène et manque de diversité dans le choix des couleurs, voire des oppositions. Le duo Micaëla/Don José de Carmen montre heureusement les deux artistes en belle cohésion de style et d’approche, l’un entraînant l’autre sur les bons chemins. Le duo de Saint-Sulpice de la Manon de Massenet révèle de surcroît un Jean-François Borras (Des Grieux) ardent et puissamment lyrique, Cristina Giannelli lui donnant en Manon une réplique de caractère.
Les deux bis viennent alors tout en douceur et en délicatesse évoquer les représentations du Mefistofele de Boïto données au Théâtre Antique d’Orange l’été dernier, ouvrage qui vit les débuts du ténor devant le mur antique (et dont voici notre compte-rendu). Le "Giunto sul passo estremo", puis le magnifique duo d’amour Faust/Marguerite "Lontano, Lontano" sont interprétés avec à la fois passion et maîtrise par les deux chanteurs. Au piano, Antoine Palloc ne ménage pas ses efforts pour faire plus que soutenir ses partenaires. Sa connaissance approfondie du chant, de l’art lyrique et de son instrument de prédilection lui permet de répondre à toutes les sollicitations, avec une attention permanente et une réactivité immédiate. Rien ne semble pouvoir surprendre sa musicalité.