Trésors de l'opéra italien, pépites du chant français aux Invalides
Renouant avec une noble tradition, la soirée est introduite par un medley des célèbres thèmes à venir (c'est d'ailleurs le rôle traditionnel des ouvertures orchestrales à l'opéra). Rossini mène vers La donna è mobile avant O mio babbino caro, dans des transcriptions et arrangements pour 7 instruments, signés Simon Cochard. Un quintette à cordes (deux violons, alto, violoncelle, contrebasse) est soutenu par le piano et soutient les thèmes boisés de la clarinette. Les suaves pizzicati prennent la mesure de l'acoustique, ouvrant sur un duo très lié entre piano et clarinette (les instruments essentiels auxquels reviendront les thèmes, avec parfois le premier violon).
Les tubes et les airs moins connus s'enchaînent comme les entrées et sorties des quatre révélations lyriques. Révélations certes, jeunes artistes prometteurs assurément, mais déjà aguerris et appréciés sur de grandes scènes. Récemment à l'affiche de la nouvelle Traviata au TCE, la mezzo-soprano Catherine Trottmann ouvre le bal avec "Una voce poco fa" (Rosine du Barbier de Séville qu'elle incarnait l'année dernière au TCE). Le travail vocal est toujours évident, l'articulation et les piqués précis, même rapides, l'appui constant doucement âpre. Surtout, l'habitude à tenir des rôles sur de grandes scènes lui donne un véritable jeu d'actrice, mutin, pétillant, de fauve et fausse ingénue : ravissant le public lorsqu'elle dénoue sa tresse. Le jeu reste toutefois subtil, mais le volume est également très mesuré bien que placé. Elle revient, les cheveux déliés comme la voix, pour chanter Bellini : "Dopo l'oscuro nembo" d'Adelson et Salvini, bien moins connu que le chef-d'œuvre Norma mais disposant d'accords et de transitions très similaires. Trottmann déploie notamment un aigu placé, nourri et glorieux, bien plus que prometteur.
La soprano Raquel Camarinha joue avec autant d'aisance, d'un rire moqueur, d'un aigu frondeur et puissant (même un peu saturé). Dans Don Pasquale, son "Pronta io son" n'est pas encore tout à fait prêt, manquant de rebondi buffa, mais certes pas d'investissement suave et candide. Les longs trilles se balancent ensuite dans une attitude de cabaret (renforcée par les dimensions de l'effectif instrumental), rendant d'autant plus émouvante, par contraste, son émotion soulevée par les aigus d'O mio babbino caro.
Très inspiré et lyrique dans la voix, très mélancolique dans l'intention, Julien Dran délaisse le caractère à la fois faible et heureux de Nemorino dans la légendaire "Una furtiva lagrima" (cette larme, versée par Adina, est aussi une réjouissante preuve d'amour). Le ténor peut cependant choisir entre un aigu puissamment couvert, un autre allégé et soulevé, avant même de les alterner. S'il n'a pas encore l'endurance nécessaire pour tenir entièrement un rôle aussi incroyablement exigeant qu'Arturo dans Les Puritains, il peut déployer en concert son air "A te, o cara" avec de très italiennes couleurs, assises, arrondies et solaires, jusqu'en un suraigu éclatant. Se livrant progressivement jusqu'au personnage d'Alfredo, c'est dans le célébrissime "E lucevan le stelle" de Tosca que sa puissance se met au service de l'affliction du condamné.
Thomas Dolié, baryton, imprime d'emblée des couleurs rossiniennes et une résonance sonore qu'il sait en outre affiner afin qu'elle ne se perde pas dans l'acoustique. Son incarnation reste très douce, presque trop candide pour Figaro dont il revêt le veston de Barbier. À l'inverse, il creuse la noblesse affligée du père Germont, vibrant dans tous son registre émotionnel et vocal (même en entrouvrant à peine la bouche).
Bien entendu et comme d'habitude pour un programme italien, les artistes reviennent avec un verre à la main pour chanter le "Libiamo" de La Traviata. Les premières notes résonnent avec leur joie habituelle, pourtant les chanteurs se regardent terrorisés ! Les instrumentistes se rendent bientôt compte qu'il ont pris une version un ton plus haut que prévu. Dans un toboggan vocal, Camarinha retrouve sa note et la soirée recueille les acclamations attendues.