Le tour du monde des lauréats des Victoires de la musique aux Invalides
Ils sont cinq, ils sont jeunes, et ils ont déjà reçu la reconnaissance de leur talent aux Victoires de la musique classique. Dans le cadre de la saison musicale de l’Hôtel national des Invalides, ils se produisent dans un concert emmenant le public dans un tour du monde leur permettant d’explorer six langues. Partition sur sa tablette, la mezzo-soprano Eva Zaïcik (à découvrir ici en interview) excelle particulièrement dans cet exercice, faisant rouler délicatement les « r » du français, claquer les « t » de l’allemand, caressant les chuintantes espagnoles et palatalisant les consonnes russes. Sa voix ronde et douce, très légèrement vibrée, est charnue dans le medium et se développe en de clairs aigus. Le phrasé éthéré sait s’adapter au style des œuvres interprétées, passant du Lied à la mélodie, jusqu’à la chanson russe (dite d’Ophélie, de Chostakovitch) et aux ornementations raffinées de la canción espagnole (de Manuel de Falla). Ses tenues de notes pourraient toutefois se prolonger pour laisser davantage le son s’élever sous les voûtes de la Cathédrale Saint-Louis.
Son timbre, son phrasé et jusqu’à la vitesse de son vibrato (mais aussi hélas son regard fixé sur la partition) s’accordent à merveille à ceux de Chloé Briot, qui dispose d’une diction française de conteuse et maîtrise parfaitement l’italien. L’allemand et le portugais gardent toutefois un charmant accent gaulois. La soprano au visage expressif tient à se garder ouvert le répertoire de mezzo (comme elle nous l’indiquait en interview) : elle interprète ainsi un Cherubino gaillard (Les Noces de Mozart), mains dans les poches, qui fait même sourire Eva Zaïcik. Dans la Captive de Berlioz, elle expose des graves sombres et percutants que transpercent des aigus à la fois fruités et incisifs, toujours veloutés. Malgré des attaques hasardeuses dans la Bachianas Brasileiras de Villa Lobos, elle verse un délicat filet de voix, stable et joliment vibré. Elle conclut l’air bouche fermée menant à un intense et délicat pianissimo final.
Trois instrumentistes complètent la distribution. Le violoncelliste Bruno Philippe, les yeux fermés et la tête rejetée en arrière, ses lèvres murmurant la mélodie, offre deux morceaux solistes tout en nuances et rubati (prises de liberté rythmique) : les très connus Prélude de Bach et Méditation de Thaïs de Massenet. Il insiste sur les notes ténébreuses, peignant avec beaucoup de corps et d’esprit un clair-obscur avec les passages plus lumineux. Le corniste Nicolas Ramez charme le public par le son doux et sucré de son instrument. Le visage recueilli, il interprète Nocturno de Franz Strauss puis la Romance en Fa de Saint-Saëns. Ténébreux, il tient avec délicatesse un souffle long qui lui permet d’étendre ses phrases musicales avec volupté. Enfin, au piano, Sélim Mazari se distingue par un accompagnement attentif, au toucher tantôt souple et discret, mais parfois dur et violent, lorsqu’il s’agit de remplacer une importante masse orchestrale. Très souriant dans l’ensemble, son visage se ferme lors de l’interprétation du Scherzo en do dièse mineur de Chopin, pour lequel il reçoit des vivats.
La qualité d’écoute du public montre l’intérêt que ces jeunes ont suscité. Pourtant, bien qu’il souffle sur les braises éteintes des applaudissements pour un ultime rappel des artistes, il n’obtient pas de bis. Qu’importe, les visages sont souriants.