Délicatesse, tendresse et humour d’Acis et Galatée par Le Banquet Céleste à Ambronay
Au XVIIe siècle, le Royaume-Uni échappe encore à l’invasion de l’opéra italien : la musique anglaise doit évoluer pour ne pas être complètement dépassée. Georg Friedrich Haendel (1685-1759), compositeur ambitieux, est convié en résidence à la cour du duc de Chandos, en banlieue de Londres. C’est là qu’il découvre le livret d'Acis & Galatea des poètes et dramaturges John Gay, John Hugues et Alexander Pope. L’amour de la nymphe Galatée, fille de Poséidon, avec Acis, fils du dieu Pan, est contrarié par le cyclope Polyphème (traditionnellement associé à l’Etna), qui désire Galatée. Acis le défie alors en un duel qu’il perd tragiquement, écrasé sous un rocher. Galatée use alors de ses pouvoirs pour transformer son bien-aimé en un ruisseau aux eaux cristallines. Haendel saisit l’occasion qui lui est présentée pour créer un genre typiquement anglais en deux actes, mêlant arie à l’italienne, airs pastoraux à la manière de Purcell et chœurs.
En cette fin d’après-midi dominicale, le Festival de musique Baroque d'Ambronay invite Damien Guillon et son ensemble Le Banquet Céleste pour défendre avec panache ce "masque pastoral". La direction de Damien Guillon, excellent chanteur lui-même, se montre très consciente des phrasés et des équilibres, toujours au service des couleurs de chaque numéro. Il est cependant dommage que les hautbois soient noyés par l’acoustique de l’abbatiale lors de la Sinfonia qui ouvre l’œuvre, sachant surtout que leur partie est ici particulièrement importante. Malgré la beauté de leur son, leurs interventions solistes manquent de précision et de clarté pour réellement apprécier ce petit concerto grosso. L’ensemble se montre un bon accompagnateur, sensible aux intentions des chanteurs.
Ceux-ci sont remarquables, à commencer par la rayonnante soprano Katherine Crompton qui incarne Galatea. Outre le soin de sa diction et la rondeur lumineuse de son timbre, le public est saisi par sa présence et sa générosité que communique son sourire. Son premier air « Ye verdant plains and woody mountains » (Ô vous, plaines verdoyantes, montagnes boisées ») se montre taquin, sous l’admiration du "joyeux chœur gazouillant" de la flûte à bec – virtuose et agréablement champêtre mais aux fins de phrases perdant en soutien et donc en justesse. L’interprétation ne correspond pas tout à fait à la douleur de ne pas voir son bien-aimé Acis, mais reste touchante. Entre autres airs tous réussis, l’auditeur se souviendra de son délicieux « Heart, the seat of soft delight » (Cœur, siège des doux délices), parfaitement accompagné par l’orchestre. Son beau berger, le téméraire Acis, est chanté avec sensibilité et prestance par le ténor Cyril Auvity. Bien que la prononciation de quelques rares mots paraisse douteuse ou exagérée, le soin du texte est patent, au service de son expression. Son timbre flamboyant est particulièrement appréciable dans son tendre air d’amour « Love in her eyes sits playing » (Amour en ses yeux s’amuse) – quoiqu’un peu lent – et son air de bravoure « Love sounds th’alarm » (Amour sonne l’alarme), incarnant la vaillance d’un amant qui part déjà victorieux malgré la fatale évidence. Sa présence correspond parfaitement à celle de son amante, d’où des duos équilibrés, tels « Happy, happy we! » et surtout le génial trio « The flocks shall leave the mountains » (Les troupeaux quitteront les montagnes) : tandis que les amants chantent et défendent leur émoi dans un duo extrêmement tendre, la jalousie et la colère de Polifemo éclate en un rageux « Torture! Fury! Rage! Despair! » (Torture, fureur, rage, désespoir !). Ce moment de musique est particulièrement incroyable et magnifique, plusieurs sentiments se confrontant avec une grande intelligibilité.
La basse Edward Grint n’a certes pas la tête du monstrueux Polifemo, toutefois il réussit à communiquer des regards effrayants, accentuant l’autorité superbe de son timbre, surtout lors de son air « I rage, I melt, I burn! » (J’enrage, je fonds, je brûle !). L’être surnaturel, conseiller de la destinée de l’homme, Damon, est chanté par le ténor Nicholas Scott, à la technique certaine. Il manque toutefois plus de naturel et d’intelligence dans ses phrasés, qui peuvent paraître automatiques dans sa leçon d’amour « Would you gain the tender creature » (Si vous voulez gagner la tendre créature) et aux intentions presque contraires aux propositions du hautbois dans le doux avertissement « Consider, fond shepherd » (Remarque, cher berger). Les parties de chœur sont chantées par les quatre solistes, renforcés par la contralto Mélodie Ruvio – dont on ne peut alors apprécier la voix individuellement, preuve que son chant est parfaitement homogène à l’ensemble. Le premier chœur paraît un rien déséquilibré mais ce défaut est vite corrigé. Les effets sont efficaces et fort amusants et intensément touchant lors de la plainte « Acis is no more » (Acis n’est plus), chantée a cappella.
Ravi par la fraîcheur de ce petit bijou lyrique, le public a droit au premier chœur « Oh the pleasure », joyeusement sautillant, salué par d’enthousiastes bravi !