Création, émotion et invités surprises pour le 40e anniversaire de l’Orchestre de chambre de Paris
Le concert débute avec la création mondiale d’une œuvre du jeune compositeur français Arthur Lavandier, Le Périple d’Hannon. Écrite pour ténor et orchestre, cette pièce retrace en une vingtaine de minutes l’odyssée africaine du navigateur carthaginois Hannon, au VIe siècle avant notre ère.
Alors que l’Orchestre de chambre de Paris entame le thème représentant Hannon, les lumières s’éteignent peu à peu sur la scène. La texture mystérieuse de l’orchestre (que l’on pourrait presque qualifier de « cinématographie ») accentue l’entrée théâtrale du ténor James Way. Arrivé devant son pupitre, ce dernier se joint à l’orchestre en unisson. Fort d’un timbre clair et d’une bonne diction, James Way incarne un Hannon fier et assuré.
À la première apparition du thème évolutif de la mer, les visuels projetés conçus par Romain Gilbert et Laurent Sarazin viennent appuyer le récit d’Hannon. Passant de vues aériennes de la mer à des images de désert, les vidéos projetées oscillent entre la couleur et le noir et blanc. Comme pour rappeler aux spectateurs qu’ils entendent là le récit de souvenirs d’une incroyable aventure.
S’appuyant sur les différentes ambiances et atmosphères sonores de l’orchestration, le ténor James Way continue sa déclamation incantatoire du récit d’Hannon. Si l’œuvre d’Arthur Lavandier propose de belles couleurs orchestrales, l’écriture vocale ne permet pas toujours au jeune chanteur d’être à son aise. En effet, une orchestration trop massive l’obligeant souvent à forcer, conjuguée à la répétition de grands intervalles dans les aigus de sa voix finit par entraîner quelques faussetés.
Alors que James Way prononce sa dernière phrase éminemment universaliste, « nous sommes Hannon », une vidéo en direct des musiciens de l’orchestre est projetée en arrière-scène. Puis la musique s’éteint, les projections cessent. Bientôt, des applaudissements se font entendre redoublant à l’arrivée sur scène du compositeur Arthur Lavandier.
Changement d’œuvre, changement de ténor. C’est désormais Mark Padmore qui entre en scène pour interpréter Les Illuminations pour voix aiguë et orchestre à cordes. Écrite au début de la Seconde Guerre mondiale par un Benjamin Britten profondément accablé, cette œuvre à l’expressivité violente est structurée autour de 10 mélodies enchaînées. Véritable fresque d’un monde en guerre, le compositeur se sert des textes d’Arthur Rimbaud pour laisser entrevoir la tragédie humaine de ce conflit meurtrier. Comme en écho au caractère épuré du texte, Benjamin Britten compose une partie vocale plus proche de la déclamation que de la mélodie. Porté par le riche vibrato de l’orchestre à cordes, Mark Padmore entonne sa fanfare. Son timbre est clair et généreux. Sa diction parfaite lui permet une précision rythmique quasi militaire. Son ton incisif et systématique en devient presque terrifiant : le public est saisi.
Visiblement à l’aise avec l’écriture vocale de Britten, Mark Padmore réalise les longues tenues dans les aigus sans aucun vibrato. Si sa justesse n’est pas irréprochable, cette voix désincarnée accentue le malaise induit par les textes et porté par les atmosphères orchestrales. Sa maîtrise technique lui permet également de dévoiler progressivement toute l’étendue des nuances de sa voix. Très à l’écoute des musiciens, notamment lors de l’introduction de la mélodie « interlude », Mark Padmore s’unit aux instrumentistes pour livrer une interprétation très expressive de cette œuvre du compositeur britannique.
Invitant sur scène un corniste, le ténor britannique interprète ensuite en guise de bis un mouvement écrit initialement par Britten pour sa Sérénade (1943). Accompagnés par un mouvement de balancier régulier de l’orchestre à cordes, la voix et le cor se répondent et s’unissent plusieurs minutes durant. Soudain, le mouvement s’arrête. La musique laisse place aux applaudissements des spectateurs.
Après l’entracte, Deborah Nemtanu, violon solo de l’orchestre, et son complice Douglas Boyd prennent les rênes du concert en interprétant une œuvre parfaitement adaptée à l’esprit festif de ce quarantième anniversaire : Tzigane de Maurice Ravel. Redoutablement difficile, cette œuvre condense en l’espace d’une dizaine de minutes, toutes les difficultés possibles et imaginables pour le violon. Passé un solo introductif parfois hésitant, Deborah Nemtanu, portée par ses collègues de l’Orchestre de chambre de Paris, conquiert allègrement cette partition sous les acclamations du public.
Revenant à leur répertoire de prédilection, l’orchestre -et particulièrement les cordes- retrouve un son plus homogène dès les premières mesures de la quarantième symphonie de Mozart. Il semble évident que Douglas Boyd prête une attention particulière à la précision rythmique quitte à parfois donner à des passages entiers une brutalité injustifiée. Si on peut déplorer cette vision bartokienne du phrasé mozartien, l’impulsion insufflée par Douglas Boyd à son orchestre ne manque pas de convaincre le public du TCE.
Après de chaleureux applaudissements, le chef annonce la venue d’un invité surprise. Amenant le champagne, le pianiste François-Frédéric Guy s’invite à la fête pour interpréter le dernier mouvement du Concerto n°5 (L’Empereur) de Beethoven. Après des applaudissements enthousiastes, le soliste, facétieux, « pianote » le début du dernier mouvement de la 3e symphonie de Beethoven, mais bifurque vite vers un « joyeux anniversaire » arrangé comme une cadence de concerto. La soirée se termine dans l’allégresse. Champagne !
Vous pouvez réserver vos places pour retrouver l’Orchestre de chambre de Paris à deux reprises au Théâtre des Champs-Élysées : pour Marie Stuart de Donizetti avec Joyce DiDonato & Ariane à Naxos de Strauss par Katie Mitchell avec Kate Lindsey