L'Enlèvement au sérail : l'opéra intime selon le Festival de la Vézère
L'opéra a beau être un genre réputé dispendieux, il n'est pas condamné aux seules grandes salles. C'est le pari d'Isabelle de Lasteyrie du Saillant et de son Festival de la Vézère, bientôt quadragénaire. Elle a noué avec la compagnie lyrique de chambre Diva Opera des liens privilégiés, et chaque été elle invite la troupe britannique créée en 1996 pour un week-end lyrique désormais institution parmi les mélomanes corréziens et d'ailleurs. Le public se retrouve ainsi dans l'une des granges du Château du Saillant, au bord de la rivière : à l'ombre de la chaleur, l'acoustique intime place le public presque dans la confidence immédiate des solistes et de la musique.
Ici, il n'est pas question d'iconoclasme scénographique. Avec la complicité des costumes de Nicola Jackson, repris par Charlotte Hillier, les perruques de Joanne Berry, et quelques menus accessoires orientalisant au diapason de la légèreté mobile du dispositif, le spectateur est comme invité dans l'antichambre de la création de l'ouvrage de Mozart, sans chercher à forcer le livret de Gottlieb Stephanie trop loin de sa divertissante pacotille exotique. Avec la proximité immédiate des interprètes, le jeu d'acteurs est presque passé à la loupe, sans que le volume sonore n'en ressorte inutilement grossi.
Car c'est bien la gageure que réussissent les six chanteurs, s'adaptant avec une précision admirable aux conditions de la représentation. Gabriella Cassidy affirme une Constance avec un port et une retenue noble, perceptible dans le soin de l'émission, autant que la plénitude des harmoniques. La contenance du personnage limite peut-être un peu sa vie : la technique l'emporte parfois sur le sentiment. En Blonde, Barbara Cole Walton contraste avec la fraîcheur attendue dans le rôle. La fluidité de la ligne aérienne permet des aigus souples, sans céder à la caricature de la soubrette, ni oublier de colorer les scènes de caractère, à l'exemple de sa rébellion face à Osmin. La jeune soprano canadienne n'a pas démérité sa reconnaissance précoce.
Côté messieurs, chaque tessiture est à l'honneur, à commencer par les ténors et le Pedrillo de John Porter. La santé de la voix et l'évidente simplicité de l'incarnation mettent en avant les solides qualités de l'Irlandais : homogénéité de la tessiture et du souffle, balance entre les ressources comiques et musicales. L'artisanat résonne de manière aboutie. Les intentions se laissent deviner chez le Belmonte d'Ashley Catling, sans passer sous silence la vulnérabilité du passage entre les registres, et sur les notes les plus hautes. Matthew Hargreaves résume sans façon la brutalité jalouse d'Osmin, jusqu'au stéréotype, grâce à une voix de basse maîtrisée, au corps parfaitement calibré. Le Pacha Selim de David Stephenson ne manque pas de présence, et son parler résonne avec plus de rondeur lyrique que de coutume, participant de l'équilibre général du plateau. Au piano, Bryan Evans n'y est pas indifférent. Sa lecture attentive aux dynamiques expressives évite toute précipitation, et dépasse les limites du clavier. Les applaudissements lui doivent beaucoup.