Felicity Lott : une grande Dame aux Invalides
Si, extrême de toute chose, tu avais gardé le milieu, ton trône t’appartiendrait encore, ou bien n’eût jamais été ; car l’audace fit ton ascension comme ta chute. Lord Byron
Parcourant en début de saison au Musée d’Orsay les nuances de la citation de Musset « Qu’importe le flacon, pourvu qu’il y ait l’ivresse » aux côtés de la pianiste Jacqueline Bourgès-Manoury et du comédien et récitant Alain Carré (qu’elle retrouve pour l’occasion), Dame Felicity Lott offre au Grand Salon de l’Hôtel des Invalides un programme musical délicat et plaisant, accompagné de pièces littéraires, témoignages historiques incarnés par la voix posée et boisée du comédien et entrecoupé par la Mélodie hongroise de Schubert pour piano seul en guise de respiration au fil du voyage. Après une introduction pianistique montrant au tempo di marcia la Marche militaire de Schubert se succèdent ainsi le charme du Lied (« Ich liebe dich » de Beethoven, l’« Ellens Zweiter Gesang » de Schubert), deux grands airs d’Offenbach bien connus de la chanteuse (de La Grande-duchesse de Gérolstein « Ah ! que j’aime les militaires ! » et « Dîtes-lui » en bis), la chanson populaire (« Bonny laddie, Highland Laddie » arrangée par Beethoven, « There is no place like home » de Bishop) ainsi que le tonitruant Die beiden Grenadiere de Schumann (une Marseillaise minorisée : passée dans le triste mode mineur pour refléter les défaites Napoléoniennes), le tout alternant avec des pièces littéraires, témoignages satiriques, graves et émouvants de Walter Scott, Thomas Carlyle, Anthony Burgess ou Wordsworth au sujet de la personne de Napoléon.
D’une voix douce et suave, alliant l’élégance du trait à une diction travaillée (les « r » discrets en français n’étant point dénués de charme), Felicity Lott offre des moments très poétiques dans les pièces tamisées en tempo et en nuance, baignés par les rondes harmonies du piano de Jacqueline Bourgès-Manoury (légèrement ouvert, le son qui en émane est un peu feutré sans être étouffé). La simplicité des lignes du « O would I were but that sweet linnet » ou du « Ich liebe Dich » de Beethoven sont assurées avec une grâce légère dans laquelle la soprano excelle, offrant de beaux balancements entre des legati bien filés et des sauts d’intervalles sautillants et légèrement détachés. Cette contenance charmante dans l’expression dessert toutefois la soprano dans le « Die beiden Grenadiere » de Schumann où, sur les puissants accords du piano, elle peine à rendre compte de la vigueur passionnée inspirée par l’accompagnement et le texte.
Dans un autre registre, elle se fait sémillante et mutine dans les deux arias extraites de La Grande Duchesse de Gérolstein (rôle-titre qu’elle chanta notamment en 2004 emmenée par Marc Minkowski dans la production de Laurent Pelly) « Ah ! que j’aime les militaires ! » et « Dîtes-lui ». Détachée de la partition (le par-cœur presqu’exclusivement de mise), elle s’offre sur scène avec un jeu théâtral tout de manières et d’une fraîcheur adolescente très appréciable, s’appropriant l’espace scénique avec aisance, ce qui ne manque pas de susciter les sourires (notamment lors du léger jeu de séduction entretenu avec le comédien au fil des « Dites-lui »). Le jeu avec la voix est dès lors sensible (exagérations, soupirs dessinés par un langoureux chromatisme s’effilochant sur un long point d’orgue) malgré une constante attention au rythme et à la diction. L’emportement de la voix dans certaines lignes rapides trahit parfois une notable perte de justesse, toutefois corrigée lors de lignes plus assurées, dont le do aigu final du premier air, tenu avec corps.
Contrepoint littéraire aux parties chantées, les interventions d’Alain Carré composent le fil narratif du programme de la soirée. Portant de sa voix les mots de Scott, Carlyle, Wordworth ou Byron, il se fait narrateur et commentateur de la vie de Napoléon autour d’extraits choisis avec goût, incluant quelques réflexions caustiques sur l’Impératrice Joséphine (« Elle avait six années » de Sir Conan Doyle qui ne manque de susciter les rires du public) ou des considérations satiriques sur les Anglais (le spectacle prend alors l’apparence d’un one-man show). Le comédien possède une voix captivante, capable d’installer une atmosphère en quelques phonèmes, soutenue par un corps économe en mouvements (ce qui ne manque pas de renforcer sa prestance scénique). Le sarcasme, l’ironie, la gravité s’incarnent justement dans cette voix à la diction lente et aux syllabes bien détachées, s’éteignant parfois dans des graves boisés précédant un long silence. Offrant de belles parenthèses littéraires, le comédien donne toute la saveur aux différents extraits convoqués.
Des pages délicates intégrées dans un programme passionnant et bien composé. Une belle réussite !