Hommage centenaire en EuroVision pour Birgit Nilsson
L’Opéra de Göteborg a réussi à réunir sept sopranos dramatiques, alliant des noms bien établis dans le monde de l’opéra, des stars régionales et de jeunes artistes très prometteuses. Ouvrant la soirée avec l’"Entrée des invités" de Tannhäuser, l’orchestre et le chœur sidèrent les spectateurs par une sonorité équilibrée sous la baguette de Kjell Ingebretsen, directeur d’orchestre suédo-norvégien qui collaborait avec « La Nilsson » dans les années 1970. Ses interprétations musicales des numéros signatures de la soprano témoignent d’une connaissance des styles si différents qui composent son répertoire : aussi à l’aise avec l’intimité qu’avec la grandeur, quasiment aux limites du grotesque que demande le spectre d’un programme composé de Verdi, Puccini, Strauss et Wagner, notamment dans le prélude de Tristan et Isolde, qui prépare en même temps l’orchestre pour la nouvelle production de L’Anneau du Nibelung, dont la première partie sera donnée en novembre 2018.
Le concert présente (à une exception près semble-t-il) des chanteuses dans des rôles qu’elles ont récemment incarnés sur scène. Annalena Persson chante la « Scène de somnambulisme » de Macbeth dans une présence dramatique impressionnante, qui contrebalance son vibrato parfois un peu trop large. Ensuite, Christina Nilsson, jeune soprano très prometteuse, reprend l’aria "Ritorna vincitor" d’Aïda, le rôle de ses débuts à l’Opéra de Stockholm. Elle est douée d’un instrument beau, travaillé et expressif, d’un grand charisme et d’une palette dont les couleurs de la vengeance et du lyrisme amoureux sont développées à parts égales.
Héritière la plus évidente du répertoire de Birgit Nilsson après Nina Stemme, Iréne Theorin possède une puissance vocale, glaciale et ancrée aussi physiquement dans son jeu. Le monologue du rôle-titre d’Elektra devient la scène du crime où Theorin mène fermement le public d’une énergie retenue aux agressions d’acier, finissant avec une valse viennoise, aussi grotesque que séduisante.
La grande surprise est le courage de Katarina Dalayman d’aborder la scène finale du Crépuscule des dieux, le monologue de Brünnhilde qui dure environ 20 minutes. Dalayman, ayant abandonné le répertoire de soprano –elle a par exemple chanté Brünnhilde au Met– pour une carrière de mezzo, impressionne avec ce choix audacieux. Fière et franche, son chant magnétisant fait ignorer quelques aigus économisés.
Après l’entracte, Elisabet Strid présente dans la scène finale de Salomé une performance de premier ordre qui mêle le jeu diabolique et bestial de son visage, ses gestes et son mouvement, à une interprétation vocale merveilleusement articulée dans toutes les nuances, brillantes et effrayantes, intenses et théâtrales.
"In questa reggia", le clou de Turandot, est confié à Ann-Louice Lögdlund, peu connue hors de Suède mais munie d’une voix équilibrée et percutante, qui lui permet de peindre un portrait glacial et déchaîné, mais jamais stoïquement immobile, de cette princesse chinoise en extase.
Après le prélude de l’opéra, Nina Stemme aborde la "Liebestod" de Tristan et Isolde, le rôle que l’on associe le plus souvent à Birgit Nilsson. Sa prestation est naturellement merveilleuse. La chaleur et la douceur de son chant, sa maîtrise vocale et musicale, et l’expérience presque vécue qu’elle apporte au rôle ne sont qu’une merveille totale.
Pour finir, l’Opéra de Göteborg réunit toutes les solistes pour un cadeau spécial : La "Chevauchée des Walkyries", chantée par ces sept sopranos de classe mondiale, renforcées par la mezzo Matilda Paulsson, qui impressionne par sa force vocale. Comme l’a promis Göran Gademan, présentateur et chef dramaturge du théâtre, ce numéro "arrache le toit de la salle" dans la joie du chant, égalé par un orchestre à pleine puissance.
Deux jours plus tard, l’Opéra de Stockholm présente un hommage qui diffère
de celui donné à Göteborg. Hormis Christina Nilsson et Nina Stemme, les interprètes, mais aussi la programmation
ainsi que l’organisation de la soirée sont tout
autres.
Pour l’ouverture du concert, le prélude de Tannhäuser est dirigé par Alan Gilbert (ancien chef principal de l’Orchestre Philharmonique Royal de Stockholm). Si le rapport avec la phalange manque en premier lieu quelque peu de précision, la direction de Gilbert se développe au fur et à mesure vers un traitement beau et varié des différentes arias et scènes.
Une grande différence entre Göteborg et Stockholm repose sur le fait que la programmation du second concert offre davantage de numéros inédits. Christina Nilsson chante par exemple l’aria d’Elisabeth, "Dich teure Halle" de Tannhäuser –ce qu’elle fait fort bien– et plus tard "In questa reggia" de Turandot, deux rôles qu’elle n’a jamais incarnés sur scène. Seul "O Patria mia" d’Aïda représente un rôle qu’elle a tenu sur les planches. Ceci dit, ses numéros témoignent de la maturité de Christina Nilsson, non seulement vocalement, mais aussi dans son interprétation musicale. L’aria de Turandot devient un temps fort de la soirée, présentant la chanteuse dans toute la force des aigus aussi bien que dans ses notes graves meurtrières.
La programmation à Stockholm est évidemment conçue comme un exposé de la carrière de Nilsson, accompagné par des discours de Birgitta Svendén, chanteuse wagnérienne et intendante de l’opéra, qui présente les informations essentielles (et, certes, bien connues). Cela motive le choix de l’aria d’Agathe dans Der Freischütz, chanté par Cornelia Beskow. Ayant une voix claire, belle et forte, elle communique au public le côté dramatique du numéro (renonçant quelque peu au trajet mélodique), et les spectateurs applaudissent avec grand enthousiasme sa prestation.
Beskow revient sur scène pour une longue scène entre Sieglinde et Siegmund de La Walkyrie. Michael Weinius, un ténor dramatique bien établi en Allemagne, lui donne la réplique, les deux ayant incarné le couple à Stockholm l’année dernière. Elle souligne le propos avec sa présence scénique et un timbre idéal pour Sieglinde. Weinius, quant à lui, vise le jeu vocal dramatique plutôt que lyrique, et son chant ouvert, intime et énergique se mêle bien à la totalité drastique de la scène, bien renforcée par la direction de Gilbert.
La deuxième partie du concert présente, hormis l’aria d’Aïda chantée par Christina Nilsson, le "Voyage de Siegfried sur le Rhin" du Crépuscule des dieux, un morceau instrumental chaleureux, majestueux et bien ciselé dans les détails, ainsi que deux numéros de Nina Stemme. "Vissi d’arte", l’aria de Tosca, n’appartient pas à son répertoire habituel. Aussi divinement chantéqu'il soit, il n’atteint pas le niveau artistique de sa seconde prestation, la scène finale de L’Anneau du Nibelung, "Starke Scheite". Ici, elle tient le rôle dans sa main, s’adressant intensivement aux spectateurs avec toutes les nuances du livret et de la partition. L’augmentation soudaine des puissances vocales requise pour la dernière partie est bien menée (comme dans ses performances du rôle entier). Bien entendu, le seul rappel imaginable était le Aspåkerspolska, une danse traditionnelle suédoise, ici chantée (et dansée) par Cornelia Beskow et Christina Nilsson, comme l’a jadis fait Birgit Nilsson !