Passionnante master-class Don Giovanni par Philippe Jordan
Le grand Amphithéâtre Marguerite de Navarre du Collège de France suffisait tout juste à accueillir le public venu en nombre afin d’assister à une master-class de Philippe Jordan avec le concours de jeunes chanteurs de l’Académie de l’Opéra et de deux pianistes/chefs de chant en phase de perfectionnement, Benjamin d’Anfray et Alessandro Praticò.
Sans attendre, Philippe Jordan justifie son choix de
travailler sur le Don Giovanni de Mozart, qui à ses yeux, constitue
une marche supplémentaire et encore plus ambitieuse au sein du
répertoire lyrique du compositeur par rapport aux Noces de Figaro. Il
insiste beaucoup sur le travail qui doit être mené entre le chef
d’orchestre et les jeunes chanteurs, étape trop souvent
sous-estimée dans le cadre de la formation de ces derniers.
S’inspirant librement d’une citation du pianiste Alfred Brendel à
propos des sonates de Mozart, lui-même citant son illustre devancier
Artur Schnabel, il déclare ainsi avec une pointe d’humour :
« La musique de Mozart est trop facile pour les enfants et trop
difficile pour les adultes ». Il s’agit ici pour lui de
renouer avec le naturel de la musique du maître de Salzbourg et sa
précision. Il reviendra souvent à ces principes de base durant sa
classe de maître.
Il convient déjà de se réjouir, car les cinq chanteurs
présents possèdent tous de fortes et indéniables potentialités.
Le ténor lyrique polonais Maciej Kwasnikowski démontre de grandes
qualités dans l’air de Don Ottavio "Il mio tesoro intanto" tiré du deuxième acte de l’ouvrage. La voix est souple, prompte aux vocalises, l’aigu aisé et le soutien dans les phrases longues
parfait. Mais, tel quel, son chant manque de caractère, de fluidité.
Après avoir échangé avec Philippe Jordan sur le personnage d’Ottavio
en lui-même souvent sacrifié à la scène -mais homme de devoir et
de passion contenue-, le jeune artiste habilement guidé se libère.
Grâce à un tempo plus allant en seconde partie de l’air et une
plus grande rigueur imposée au piano, les contrastes s’affirment,
le timbre se pare d’une autre luminosité, avec un travail
approfondi sur ce que Philippe Jordan appelle les petites notes : « caresse les consonnes, soit plus tendre » indique ce dernier.
Avec
Angélique Boudeville légèrement enrhumée, dont il salue
l’interprétation magnifique de l’air d’Anna "Non mi dir" par ces mots « Extraordinaire, tu as tous les moyens du
rôle », Philippe Jordan s’attache non à l’air en
lui-même mais au récitatif qui le précède. Il insiste sur
l’importance de la structure des récitatifs chez Mozart, sur la
différentiation qui doit s’opérer entre ceux-ci et les parties
chantées. Pas à pas, depuis le fameux Crudele, il guide les
pas de la soprano et transforme avec elle toute la
première partie qu’elle abordait de façon nettement plus franche,
moins nuancée. Tout de suite, le sentiment s’exprime avec plus
d’aisance, le chant d’amour s’épanouit.
Avec le baryton-basse
Danylo Matviienko -voix magnifiquement conduite, large, impérieuse-,
qui interprète l’air fameux de Don Giovanni, "Deh vieni alla
finestra", Philippe Jordan travaille sur les mots et leur mise en
valeur -dolce, miele, zucchero-, conférant à la seconde strophe un
caractère plus intime, différenciée au niveau de l’ambiance de
la première, demandant au chanteur de jouer avec le texte de façon
plus gourmande pour reprendre ses mots exacts. Le tempo qui doit
évoquer celui d’une horloge par sa régularité est aussi repris
avec le pianiste.
Philippe Jordan aborde ensuite avec
les artistes la difficulté des ensembles vocaux chez Mozart avec le
magnifique Quartetto du premier acte "Non ti fidar, o misera". Aux artistes déjà nommés, la soprano Marie Perbost vient se
joindre pour offrir une Donna Elvira de caractère, au large soprano,
dotée d’un timbre percutant. Philippe Jordan souligne l’importance fondamentale de ce quatuor : les protagonistes
principaux -Elvira, Anna, Ottavio et Don Giovanni- se retrouvent
ensemble pour la première fois dans les rets du séducteur invétéré.
Surprise pour les deux jeunes « fiancés », colère et
noblesse d’Elvira, manipulation et traîtrise pour Don Giovanni.
« Regardez toujours ce qui se passe dans l’orchestre, réaffirme Philippe Jordan, ne vous laissez pas uniquement guider par
votre propre voix ». Rétablissant les équilibres tout en
affirmant les caractères de chaque personnage, il insuffle toute sa
signification à cette page d’exception.
Pour conclure, le solide
baryton Mateusz Hoedt s’empare de Leporello et interpelle ses
camarades lors du fameux trio des masques "Bisogna aver coraggio" qui bénéficie d’emblée des conseils avisés distillés par
Philippe Jordan depuis le début de la master-class. Durant 1h45, Philippe Jordan se donne sans retenue, passionnant
de bout en bout et affirmant des dons de transmission certains. Il
sera possible de le retrouver pour une nouvelle master-class à
l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille, toujours avec les artistes
de l’Académie, le 17 mai prochain à 20h.
Les prochains rendez-vous de l’Opéra national de Paris au Collège de France sont les suivants, toujours à 18h30 : 14 juin 2018 avec Stéphane Lissner, le 8 novembre avec le metteur en scène Dmitri Tcherniakov, le 14 mars 2019 avec l’artiste plasticien et photographe japonais Hiroshi Sugimoto pour le ballet At the Hawk's Well présenté en septembre 2019 et le 10 avril avec la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker.