La beauté de l’imaginaire Belle au bois dormant de Respighi à la Croix-Rousse
Si Ottorino Respighi (1879-1936) est surtout connu pour ses deux impressionnantes œuvres symphoniques à la gloire de Rome, Les Fontaines de Rome et Les Pins de Rome, ses opéras et ballets n’eurent malheureusement pas la notoriété suffisante pour passer au-delà des Alpes. L'un de ses petits bijoux artistiques n'a été redécouvert que trop récemment : La Bella addormentata nel bosco. Évidemment inspiré du célèbre conte de Charles Perrault (1628-1703), La Belle au Bois Dormant est d’abord le fruit d’une commande du marionnettiste Vittorio Podrecca, directeur de la compagnie Teatro dei Piccoli (Le Théâtre des Enfants). Interprétée sur scène par des marionnettes, celles-ci sont donc accompagnées d’un orchestre et de chanteurs, pour un public de petits. Les grands ayant gardé leur âme d’enfant ou les mélomanes, sensibles aux multiples clins d’œil et inspirations musicales de ce conte-opéra en trois actes, ont toutefois su l’apprécier à sa juste valeur. Le succès de la création, le 13 avril 1922 au Teatro Odescalchi de Rome, en est la preuve.
C’est un récent voyage à Bali effectué par Barbora Horáková Joly qui lui inspire le décor et la mise en scène de cette représentation au Théâtre de la Croix-Rousse de Lyon : une petite fille, entourée de ses camarades au milieu d’une montagne d’immondices, découvre un livre qui la happe dans le monde féerique des belles princesses et des princes charmants. Pour y amener les spectateurs, Horáková, aidée de la scénographe et costumière Eva Maria van Acker et du créateur lumières Michael Bauer, appelle leur propre imagination grâce à des effets apparemment simples, mais superbement efficaces. C’est ainsi que la lectrice, lors du premier acte, devient princesse dans un simulacre de majesté, entourée de ses « sujets » qui ne sont que ces sales jeunes camarades, sur un vieux tapis rouge tâché. Cette scène, sans les manières royales mais avec toute la sincérité d’un rêve d’enfants, en est vraiment touchante. Après une tragique fin de second acte, où la Princesse s’endort pour longtemps, le public est quant à lui soudainement mis en sursaut par une « poussière d’étoiles » et une salle grandement éclairée. Il est transporté dans un monde tout nouveau et violemment différemment : Disney Parc, avec la Maîtrise de l'Opéra de Lyon en hôtes souriants, le célèbre Mickey sur scène et des touristes américains milliardaires – dont Mr Dollar – accompagnant le Prince. L’histoire de Respighi était déjà volontairement moderne en 1922, avec cette soudaine apparition au début du XXe siècle aux USA, la transposition dans le monde féerique non pas des finances de Wall Street mais d’un parc d’attraction bien connu semble être tout à fait pertinente pour une représentation du début du XXIe. Le très joyeux fox-trot final, dansé par les enfants de la maîtrise et les solistes, sur une chorégraphie de James Rosenthal, trouve ainsi toute sa place.
La représentation est le fruit du travail des solistes du Studio et de la Maîtrise de l’Opéra de Lyon. La Fée bleue de la soprano Henrike Henoch, qui est aussi le rossignol et le fuseau, fait entendre des aigus puissants et une belle maîtrise du souffle, nécessaire dans ses vocalises réussies. Si son sur-jeu peut d’abord surprendre, il prend tout son sens dans le dernier acte. Le Roi, bûcheron et ambassadeur (Mickey) est interprété par le baryton Jan Żądło aux doux graves et à la très bonne diction, avec une attention toute particulière dans la prononciation de son français parlé. Beth Taylor, qui incarne la Reine, le coucou et le chat, est une mezzo-soprano au timbre velouté, et montre une bonne aisance scénique. Interprétant deux rôles totalement opposés, La vielle dame et la Duchesse, Ana Victória Pitts montre de beaux talents de comédienne, ainsi qu’une belle présence vocale. La Princesse est chantée par la douce et lumineuse soprane Nikoleta Kapetanidou. Comme le dit si joliment la Princesse en personne, la voix du Prince « ressemble à de douces caresses » : Grégoire Mour sait effectivement charmer de son joli timbre de ténor. Ses gestes volontairement caricaturaux ne manquent pas de faire rire à plusieurs reprises le public.
Le grand plaisir de la soirée est aussi de voir et entendre les jeunes chanteurs de la Maîtrise de l’Opéra de Lyon, excellemment préparés par Karine Locatelli : outre leur aisance scénique qui paraît assez naturelle, leurs interventions sont toujours féeriques, particulièrement l’émouvant final de l’acte II « Adio, reginella » (Adieux, petite reine) : chanté depuis le fond de la salle, derrière le public en stéréophonie, il semble venir du ciel même. L'auditoire ne saurait dire si c’est la géniale musique de Respighi qui magnifie leur chant ou l’inverse. Les deux sans doute. L’œuvre est aussi brillamment défendue par les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, sous la direction de Philippe Forget. Comme toujours, ils déploient des couleurs orchestrales littéralement renversantes, avec un équilibre toujours très soigné et des interventions solistes d’une grande propreté et musicalité. Les gestes souples de Philippe Forget sont assurément ceux d’un chef de chœur, particulièrement attentifs aux chanteurs et aux phrasés des instrumentistes.
À la sortie du théâtre, au milieu des spectateurs ravis, on pouvait en entendre quelques-uns confier que l’opéra n’est habituellement pas dans leurs habitudes, ni même leur passion, mais qui furent pourtant conquis par cette production belle et réussie. C’est ainsi que l’Opéra de Lyon démontre l’efficacité des collaborations avec d’autres salles de spectacles de la métropole, invitant un public voisin à découvrir les jeunes talents de sa maison.