Sandrine Piau chante les héroïnes de Haendel à Massy
Dans Partenope (1730), la belle Reine de Naples est éprise d’Arsace, Prince de Corinthe, qu’elle assure de son amour dans « Voglio amare insin ch’io moro » (Jusqu’à ce que la mort nous sépare). Sandrine Piau entame ce récital le sourire aux lèvres, d’une voix légère mais redoutablement précise. Son vibrato subtil et ses envolées de rossignol se font sans effort. Le public est suspendu à sa voix, dans un silence religieux. Dans une robe d’inspiration d’époque (ornementée au col et aux épaules), elle suit les partitions sans s’en encombrer et laisse les émotions passer dans ses gestes.
La deuxième héroïne de la soirée n’est autre que la grande Cléopâtre de Jules César (Giulio Cesare, 1730). Ce rôle tourmenté permet à la chanteuse de prouver (s’il était encore permis d’en douter) l’étendue de ses talents de tragédienne et de chanteuse. Bien que soprano, la tessiture plus grave n’est jamais sacrifiée, avec des basses bien assises. Elle projette toujours sa voix, atteignant tous les spectateurs. Dans le récitatif et air « Piangero la sorte mia » (Je pleurerai mon sort), Cléopâtre attend la mort, et Piau montre toutes les facettes de cette personnalité, entre espérance et dignité. Les « o » à la fin de ses phrases sortent d’une bouche presque fermée, mais jouissant d’une grande résonance. Après des aigus pianissimi, elle achève l’air sur un legato cristallin qui laisse encore une fois le public coi. Le ton joyeux de l’air « Da tempeste » (Les tempêtes) lui permet de montrer son agilité dans les ornements baroques requis par la partition. Jouant de rubato (souplesse rythmique), elle mène les musiciens, devenant véritable chef à la place de Jérôme Correas.
Celui-ci, menant son ensemble Les Paladins depuis le clavecin reprend bientôt la main, offrant au public l’ouverture d’Alcina (1735), dite « à la française ». Emmenée par un rythme pointé mais relativement lent, cette entrée en matière est majestueuse, puis présente chaque instrument dans des entrées en fugue, où les lignes se chevauchent en cascade, cette fois Allegro. C’est dans ce même style énergique qu’ils interprètent également le Concerto Grosso n°4 opus 6 (1739). Le violon soliste émet des phrases ascendantes puis descendantes, tandis que Correas tape du pied pour assurer la rapidité du rythme (ses mains étant déjà bien occupées sur son clavier).
C’est dans la peau d’Alcina que la soprano brille le plus et revêt à cette occasion une magnifique robe grise étoilée de paillettes. C’est une héroïne trahie qui entonne les notes torturées de l’air « Ah ! Mio cor » (Ah ! Mon cœur) : ses attaques sont percutantes et amères, mais elle utilise de plus en plus d’air au fil de cette lamentation, se laissant gagner par le désespoir. Sa gorge se serre sous le coup de la colère puis elle se retient de nouveau. Véritable actrice, son visage se déforme sous ces émotions destructrices. Le tempo lent et la présence discrète des instruments créent une atmosphère douloureuse, dans laquelle chaque silence est lourd d’expressions.
C’est avec l’air de Morgana « Tornami a vagheggiar » (Reviens me séduire) que s’achève le programme de la soirée, sur une note brillante et ornée de joyeuses vocalises. Le public en redemande puisque ce n’est à pas moins de trois reprises que Sandrine Piau reviendra sur la scène de l’Opéra de Massy, avec un air tiré de Rinaldo, suivi du célébrissime Lascia ch'io pianga, puis d’un air d’Ariodante.