Bach : une réunion de famille orchestrée par Anne Sofie von Otter à Massy
Le concert présenté au public laisse autant de place à la musique instrumentale que vocale des deux Bach. Les Musiciens du Louvre, menés par la direction au violon de Thibault Noally, entament la soirée avec la sautillante Sinfonia de la Cantate Gott soll allein mein Herze haben (Dieu seul doit posséder mon cœur). Cette introduction présente aux spectateurs un ensemble équilibré et extrêmement juste, où les jeux de questions-réponses entre l’orgue et l’orchestre rappellent la forme du concerto. Le hautbois prend également sa part de lumière, tout en délicatesse. Il brille également, accompagné du basson cette fois, dans la Sinfonia de la Cantate Am Abend aber desselbigen Sabbats (Le soir de ce même jour du sabbat). Encore une fois, les thèmes du hautbois et du basson font écho à ceux des cordes, qui se les échangent et s’entremêlent dans une parfaite tapisserie musicale.
La dernière pièce instrumentale est un Concerto pour violon et hautbois en do mineur, reconstitution d’une partition qui nous est parvenue sous forme de concerto pour claviers. Les timbres de ces deux instruments, quoique différents, se marient ici avec beaucoup d’émotion. Le premier mouvement allegro est majestueux, tandis que l’andante souligne l’écriture mélodique et très legato pour les solistes, soutenus par un tapis orchestral en pizzicati (cordes pincées). Le troisième mouvement clôt le Concerto avec une partition dansante et virtuose.
Dans sa robe de velours bleu nuit, la mezzo-soprano suédoise Anne Sofie von Otter reste la
soliste la plus remarquée. Avec une élégance à toute épreuve,
elle entame son programme par la Cantate de Johann Christoph Bach
Ach dass ich Wasser genug hätte (Oh si ma tête était
remplie d’eau), lamentation pour alto qui faillit disparaître au
cours de la Seconde Guerre mondiale. Partition en mains, elle pose
son timbre rond et délicat sur une diction parfaite. Cette tessiture
restant grave pour une mezzo-soprano, la chanteuse est parfois
difficilement audible sur certaines notes plus basses et piani.
Elle donne tout de même de puissantes nuances, partant de pianissimi
détimbrés, bouche presque fermée, faisant frissonner l'assistance.
Dans les arias issues des Cantates de Johann Sebastian : Wahrlich, wahrlich, ich sage euch (Vraiment, vraiment je vous dis) et Widerstehe doch der Sünde (Fais face au pêché), la suédoise devient presque récitante, vivant chaque parole et bougeant le haut du corps ou la tête sur les tempi, appuyant d’un geste ou d’un regard les musiciens l’accompagnant. C’est un véritable jeu qui s’installe entre eux, la chanteuse mimant même le basson et les violoncelles sur leurs notes sautillantes. C’est pourtant lorsque sa partition est sur pupitre qu’elle est la plus expressive, libérée de toute contrainte et bougeant les bras. Le violon lui fait ici écho, notamment sur de longs crescendi délicieux, repris à la fin par l’orchestre. La voix de von Otter se resserre parfois cependant, manquant d’air à la fin de ces longues phrases.
Dans Vergnügte
Ruh, beliebte Seelenlust (Repos délicieux, plaisir recherché de
l’âme), la récitation laisse place à la mélodie, accompagnée
d’un hautbois soliste complice. Dans l’ultime Cantate de la
soirée Geist und Seele wird verwirret (L’esprit et l’âme
sont confondus), la musique se fait plus pieuse. Après une Sinfonia
instrumentale sur un tutti dansant, la mezzo-soprano chante le
dramatisme et la ferveur, devenant presque chef à la place de
Noally, guidant ses accompagnants solistes (violoncelle et théorbe)
dans ses légers rubati et ses vocalises finales exaltantes.
Les artistes reviennent par deux fois sous les applaudissements d’un
public séduit.