Exceptionnelle Héroïque par l’Aurora Orchestra au Festival Berlioz
Le Festival Berlioz propose un programme autour du thème Heroic and Crazy ! (héroïque et folle), comme peut l’être la musique moderne et contemporaine anglaise. La première partie présente alors la Sinfonietta de Benjamin Britten (1932), sa première œuvre officielle pour dix musiciens, composée alors qu’il n’était encore qu’un jeune étudiant de 18 ans dans la classe de Frank Bridge, au Royal College of Music. Bien que le choix de cette œuvre dans le programme de cette soirée puisse étonner, il est indéniable que la qualité de l'opus, alors créé par un jeune étudiant supposé inexpérimenté, impressionne. Les adjectifs « héroïque » et « fou » correspondent bien. La seconde œuvre de cette première partie les allie assurément : Eight Songs for a Mad King (1969) de Peter Maxwell Davies, pour six instrumentistes et baryton, s’inspire de la vie et d’écrits-même du Roi George III (1738-1820), qui présentait des signes inquiétants de folie, comme converser avec ses oiseaux. Pour la seconde partie du concert, l’Aurora Orchestra interprète une de ses œuvres préférées : la 3ème Symphonie de Beethoven. D’abord dédiée à Bonaparte, avec lequel il partageait la même aspiration révolutionnaire et républicaine, Beethoven déchira la dédicace en apprenant le coup d’État de 1802. Cette symphonie pré-romantique porte désormais le titre Symphonie Héroïque, pour célébrer la mémoire d'un grand homme, la marche triomphale étant alors transformée en marche funèbre. Elle sera entendue dans une version qui n’est possible que par le jeune ensemble anglais : l’œuvre étant jouée par cœur par les musiciens debout. Que de folie !
Nicholas Collon dirige l'Aurora Orchestra (© Festival Berlioz - Bruno Moussier)
La Sinfonietta débute avec des vents bien trop forts et un quatuor à cordes bien en retrait. Mais très vite l’équilibre se fait parfaitement dès la moitié du premier mouvement, poco presto ed agitato, pour ne jamais plus faire défaut. Les variations du deuxième mouvement andante lento présentent de magnifiques passages en duos, où se révèle tout l’art des couleurs de Britten, les timbres des instruments s’entremêlant pour en créer un nouveau. La mélodie passe d'un pupitre l'autre avec une grande musicalité qui se retrouve dans la tarentelle du troisième mouvement, où les dialogues sont bien menés. Ce travail d’ensemble est rendu possible grâce à des instrumentistes de qualité mais aussi au talent du chef d’orchestre : les gestes de Nicholas Collon sont dénués de toute démonstration, très souples, prouvant une belle sensibilité musicale.
Benedict Nelson : royale folie ! (© Festival Berlioz - Bruno Moussier)
Les Eight Songs for a Mad King, malgré les qualités de la musique, n’auraient pas de sens sans un peu de mise en scène. Les musiciens installés, le baryton Benedict Nelson entre, œil hagard, vêtu simplement d’un caleçon et d’une chemise, gentiment accompagné du percussionniste qui le mène jusqu’au podium du chef. Il se met alors à diriger, tant bien que mal, le petit ensemble, puis finit par se tourner et dévisager le public qui tente d’étouffer ses rires. Sans la partition – qui est pourtant très précise et compliquée – et discrètement sonorisé – tant visuellement qu’acoustiquement –, Benedict Nelson est un excellent comédien. Il convainc aisément les spectateurs qui découvrent l’œuvre. Celle-ci est d’une difficulté monstrueuse, demandant certes un jeu scénique mais aussi des techniques vocales extraordinaires ; Davies a écrit des « sons émis par un homme qui subit une contrainte physique et mentale extrême ». Il manque très certainement de folie dans l’interprétation vocale du baryton, dont les extrêmes restent, malgré tout, limités. Certes, il y a des aigus et des graves, mais pas de suraigus désagréables, ni des graves perdus dans les profondeurs. Il y eut encore moins de sons gutturaux granuleux, ni de cris remplis d’harmoniques, comme l’exige la partition. Eight Songs for a Mad King n’est certainement pas l’œuvre à choisir si l’on veut préserver sa voix pour le lendemain ; Benedict Nelson pourra chanter dès son réveil. Les six instrumentistes sont excellents : précis, très à l’écoute les uns des autres, notamment grâce aux regards, malgré la disposition – le pianiste et le percussionniste étant chacun de chaque côté de la scène et les cordes tournant le dos au pianiste, par exemple. Comme l’exige la partition, après une partie très jazzy, le Roi fou emprunte l’instrument de la violoniste, s’amusant doucement avant de l’éclater violemment contre le sol, le réduisant en miettes, devant une pauvre Lisanne Soeterbroek tétanisée par cette violence, tout comme le public, impressionné. C’est que les musiciens participent aussi, un peu, à la mise en scène, aidés de petits oiseaux en origami. Après avoir annoncé sérieusement la mort du Roi, Nelson repars camisolé derrière les gradins du chapiteau, suivi du funèbre tambour. Revenu saluer sur scène, le baryton anglais est fort applaudi et rappelé.
© Festival Berlioz - Bruno Moussier
Vient l’attendue Héroïque. D’abord, il est déjà impressionnant de voir les musiciens s’installer : aucune chaise (sauf pour les violoncelles), aucun pupitre, rien que les jeunes et souriants musiciens. Le tableau est superbe. Dès les premiers accords, l’énergie du son semble ne rencontrer aucune barrière de l’orchestre au public. Sous la direction dansante et enjouée de Nicholas Collon, les accents sont très beaux, ainsi que les directions et les nuances de phrasés. Par cette audace de disposition, les intentions musicales sont multipliées : obligés de s’ancrer physiquement sur leurs jambes, les musiciens ressentent davantage la musique. L'orchestre est alors plein de vie. L’œuvre étant jouée par cœur, la concentration des instrumentistes est maximale et constante. Privés de partition, ils sont très présents, attentifs aux moindres intentions du chef et aux autres. Les souriantes complicités entre les musiciens contribuent à communiquer un vrai bonheur de jouer cette incroyable musique. Les cuivres, particulièrement les trompettes naturelles, sonnent avec un véritable héroïsme.
L'Aurora Orchestra se lève pour interpréter l'Héroïque (© Festival Berlioz - Bruno Moussier)
La première partie de la marcia funebre souffre du terrifiant entrain du premier mouvement. Sous la direction mouvementée et très présente du chef, le tempo paraît trop rapide et manque assurément de pesanteur pour ressentir le caractère tragique d’une marche funèbre, ou de légèreté dans les phrases chantées. Le choix du tempo prend son sens dans la partie majeure puis le retour contrapuntique du mineur. Malgré un étonnant glissando du cor vers la fin du mouvement (sans doute un trou de mémoire ; on peut volontiers tolérer une note incertaine pour 50 minutes de musique), aucune barrière ne séparant l’orchestre des auditeurs, ces derniers sont tout aussi concentrés, jusqu'à la dernière note de la marche, quasi inexistante.
Le jeu introductif du thème du scherzo, qui semble se chercher, est très agréable, déjà par la musique elle-même, mais aussi par la complicité des musiciens : ils s’amusent, cela se voit, s’entend, et se transmet. Dans le finale, chaque partie s’entend distinctement dans ces amusantes variations autour d’un thème enfantin et espiègle, avec de belles surprises bien amenées.
Un bis dont les spectateurs se souviendront (© Festival Berlioz - Bruno Moussier)
Après de chaleureux applaudissements, Nicholas Collon partage en français un touchant remerciement et nous dévoile une incroyable surprise comme bis : l’orchestre n’ayant besoin de rien, il se disperse dans la salle, parmi les spectateurs, et joue la deuxième partie du premier mouvement. Bien mieux que le Dolby digital, l’expérience sonore est saisissante et très agréable. Le public est évidemment conquis et offre au jeune ensemble une standing ovation enthousiasmée et méritée.