Rusalka, séduction aquatique à Tours
Le rideau s’ouvre sur un magnifique tableau. Une grande fontaine occupe presque toute la scène. Quatre tiges dans l’eau évoquent des roseaux, un ballon blanc est une lune. De ravissantes projections égayent un style minimaliste, forment des cercles au-dessus de la fontaine et transforment l’eau en nuages, en paysages, en feu, en soleil, dans des formes variables parfois rondes comme la fontaine, parfois plus serrées.
Serenad Burcu Uyar est Rusalka (© Marie Pétry)
Certains passages sont de toute beauté : Rusalka qui descend dans sa lune/balançoire traînant son long voile bleu semble ainsi citer une peinture préraphaélite. Seule irruption dans cette féerie, une moto avec son phare allumé, symbolisant peut-être ce qu'il reste d’un homme, après sa séduction mortelle par les nymphes de la fontaine. La moto se retrouvera vers la fin de l’opéra, noyée dans la fontaine comme pour signaler un monde post-apocalyptique – les eaux, la nature, souillés par les déchets de l’espèce humaine. Les scènes varient entre le monde surnaturel de la fontaine bleue (avec de la vraie eau pour s’éclabousser) et le monde absurdement artificiel de la cour où un pont couvre partiellement la fontaine. Les courtisans sont bariolés de couleurs, avec des coiffures vertes ou rouges feu dressées en cônes. Mais la fontaine, qui reste en place durant tout l’opéra, force les chanteurs à tourner perpétuellement en rond. Repérons quelques clins d’œil à d’autres œuvres : à la cour, deux danseurs classiques, habillés pour le Lac des Cygnes (autre histoire de séduction aquatique qui finit mal) font quelques mouvements qui semblent sortis de la fin de ce ballet, alors que la musique de Dvořák semble faire une allusion à son ami Tchaïkovski. À un autre moment, Rusalka s’assied sur ses hanches évoquant la célèbre statue danoise de La Petite Sirène. L'anneau de feu autour de Rusalka lorsque la sorcière Ježibaba la transforme en femme muette, rappelle l’anneau de feu de Brünnhilde (La Walkyrie de Wagner).
Des danseurs rappelant le Lac des Cygnes (© Marie Pétry)
Serenad Burcu Uyar, soprano, dans le rôle de Rusalka, a un son très riche et liquide avec une puissance wagnérienne dans les aigus, capable également de flotter des pianissimi qui restent riches. Paradoxalement, elle passe une bonne partie de l’opéra « muette ». Elle est très touchante à la fin de l’opéra quand le ténor meurt sur ses genoux. Celui-ci, Johannes Chum, privilégie les résonances du masque pour magnifier sa puissance, et si, dans le petit Théâtre de Tours, le son devient parfois nasal et droit, ces couleurs sont idiomatiques dans ce répertoire, faisant penser au ténor polonais Wiesław Ochman.
Serenad Burcu Uyar et Johannes Chum (© Marie Pétry)
Svetlana Lifar dans le rôle de Ježibaba est tout à fait remarquable. Contralto avec des graves d’une richesse voluptueuse, sa voix de poitrine reste mixte et garde sa beauté, avec des aigus très sûrs. Elle est très concentrée sur scène, ce qui lui donne une présence très intense. Voix très dramatique, la basse russe Mischa Schelomianski n’a pas peur de faire quelques sons rauques, quand l’exige le personnage d'Ondin, père de Rusalka.
Serenad Burcu Uyar (© Marie Pétry)
La soprane qui joue La Princesse étrangère (Isabelle Cals dans une magnifique robe rouge) a une voix très égale du haut en bas de l’ambitus, brillante et riche à la fois, avec de très beaux aigus. Les trois sopranes incarnant les Nymphes (Jeanne Crousaud, Yumiko Tanimura et Aurore Ugolin) sont merveilleusement équilibrées. Quand elles chantent en harmonie, leurs couleurs variées se fondent en une seule voix. Elles ont chacune une marionnette (un genre d'E.T.) à faire bouger, l’effet est intéressant mais entrave parfois les artistes dans leurs mouvements.
Serenad Burcu Uyar et Isabelle Cals (© Marie Pétry)
Les Chœurs de femme dans les coulisses qui répondent en échos aux nymphes sont parfaits. Bien équilibré avec les voix, l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours sous la baguette de Kaspar Zehnder paraît très grand, de par le son mais aussi l'effectif : la harpiste et les cors débordent dans les loges.