Laurent Joyeux, lorsqu'il programma la conférence de presse du mercredi 12 février 2020 pour annoncer sa prochaine saison en présence d'une presse nombreuse venue assister à la création mondiale Les Châtiments (opéra sur la Trilogie de Kafka) ne se doutait sans doute pas que la situation de l'Opéra et la sienne seraient alors, elles aussi Kafkaiennes, comme les histoires représentées sur le plateau. Cette nouvelle saison, annonça alors le Directeur en place, sera sa dernière.

Né en 1973, le diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris conserva alors la réserve imposée à ses fonctions, mais les regrets étaient palpables dans la présentation du bilan de ses actions menées à Dijon (avec tous les indicateurs au vert) comme un solde de tout compte. Un sentiment amer renforcé par la liste de tous les projets et résidences qui arriveront donc à terme, sans être renouvelés ni prolongés. Directeur général et artistique depuis 2007, suite à 5 années passées à l'Opéra de Lille comme Directeur administratif et financier, Laurent Joyeux ne le dit pas mais il estime assurément avoir mérité de prolonger dans la maison lyrique dijonnaise, lui qui a fait de son bilan l'argument principal lors de ses deux candidatures à la direction des deux plus grandes maisons lyriques françaises (il faisait partie des 11 candidatures sélectionnées pour l'Opéra de Paris en 2019, puis de la demi-douzaine retenues pour Lyon).

Ce non-renouvellement à Dijon a jeté un froid et un lourd silence le 12 février, mais il a fait grand bruit dès le lendemain (littéralement), d'abord en interne puis au-delà. Dès le 13 février, le Comité social et économique du théâtre adresse et communique une lettre exprimant ses craintes, demandant des clarifications sur le processus de recrutement/nomination et le projet artistique de la prochaine direction. Le Comité qui a alerté formellement le Conseil d’Administration lors de sa séance du 13 mars "par une nouvelle lettre restée sans réponse." 

Une demande instamment renouvelée par le même Comité le mois dernier, qualifiant la situation de critique (fragilisant l'image, la situation artistique et financière de l'institution), et empirée par les conséquences de la crise sanitaire :  "Actuellement, comment pouvons-nous changer les codes d’une maison telle que ceux de l’Opéra de Dijon dans une période aussi fragile économiquement ? Comment un changement aussi radical peut-il être bénéfique en ces temps d’incertitudes ? L’Opéra de Dijon ne doit pas disparaître du paysage lyrique européen, et encore moins dans une période où toutes les scènes lyriques doivent être solidaires pour traverser ce bouleversement soudain."

Différents observateurs et acteurs de ce dossier et de la vie culturelle locale affirment que le Maire de Dijon (François Rebsamen, en ballotage favorable dans la perspective d'un second tour aux Municipales, à condition de s'allier avec les écologistes) aurait déjà choisi lui-même pour futur Directeur de l'Opéra Dominique Pitoiset : natif et diplômé aux Beaux-Arts de la ville, metteur en scène de théâtre et d'opéra, nommé Directeur du Théâtre National Dijon-Bourgogne en 1996, de Chaillot à Paris en 2000 "avant qu’un changement ministériel n’invalide cette nomination" (écrit-il), Directeur du Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine entre 2004 et 2014, il est revenu au pays natal en installant à Dijon sa Compagnie Pitoiset (Dominique Pitoiset n'a pas répondu à nos questions).

La Réunion des Opéras de France s'est également émue de la situation. L'Opéra de Dijon ayant reçu le label "Théâtre lyrique d’intérêt national" (créé en 2017), il apparaît indispensable à la profession que le recrutement soit ouvert, transparent et à rayonnement (inter)national.

Contactée par nos soins, la Ville de Dijon nous répond qu'elle ne souhaite pas s'exprimer sur la question pour le moment et qu'elle reviendra prochainement vers nous.

Toujours pas de directeur nommé pour janvier 2021."

Cette semaine, ce sont des artistes prestigieux et nombreux qui ont rejoint officiellement le mouvement en formant un Collectif. Une Lettre ouverte a été adressée au Maire de Dijon mais également au Ministre de la Culture et au Président de la République. Les 217 signataires de cette Lettre et membres de ce collectif réunissent tous les pupitres de l'orchestre local mais également des musiciens, artistes et responsables de renom international, tels que Leonardo Garcia Alarcon, David Grimal, Jos van Immerseel, Andreas Staier ou encore Emmanuelle Haïm, ainsi que des responsables de grandes institutions musicales : Jean-Marie Marchal (Directeur CAVEMA - Chœur de chambre de Namur), Hans-Georg Kaiser (Intendant du Freiburger Barockorchester), Claire Baudo (Administratrice à la Cappella Mediterranea), Patrick Foll (Directeur du Théâtre de Caen), Ann Truyens (Directrice générale d'Anima Eterna Brugge).

Plusieurs des artistes signataires de la Lettre ouverte et membres du Collectif participent à la nouvelle initiative de l'Opéra de Dijon : un "Festival Artistes en résidence | en résistance". 

36 concerts seront proposés dont 28 en streaming dans le respect des consignes sanitaires, du 26 mai au 6 juillet

Presque tous les jours, à 20h, rendez-vous est donné sur le site internet de l’Opéra de Dijon et ses réseaux sociaux (ainsi que sur cette page Ôlyrix). "D’abord un reportage de dix-quinze minutes autour d’une œuvre, d’un thème, présenté par les artistes, avant le concert proprement dit. Puis après celui-ci viendra un moment convivial d’échange grâce aux technologies numériques entre le public et le(s) artiste(s)."

Programmation artistique en direct de l'Auditorium de l'Opéra de Dijon

Du 27 mai au 3 juin : Cappella Mediterranea | Leonardo García Alarcón | Mariana Florès avec Marie Bournisien, Margaux Blanchard, Monica Pustilnik, Quito Gato, William Sabatier, Chouchane Siranossian

Le 6 juin : Orchestre Dijon Bourgogne - Les quatre Saisons

Du 8 au 10 juin : Les Traversées Baroques

Le 12 juin : Claire-Marie Le Guay

Le 13, 14 et 30 juin : Jos van Immerseel / Thomas Bauer

Le 16 juin : Variations Goldberg / J.S. Bach | Brice Pauset

Du 18 au 27 juin : Dissonances Chamber Music Series | David Grimal

Le 5 et 6 juillet : William Byrd / Andreas Staier