"Saturnales", anneaux et diadème anniversaires de Claude Lévêque à l'Opéra de Paris
C'est avec étonnement, voire stupéfaction que nombre de spectateurs conviés au Concert de Gala inaugural des 350 ans donné au Palais Garnier les 30 et 31 décembre 2018 ont découvert deux pneus apparemment dorés au sommet du grand escalier.
Le communiqué de presse l'annonçait : "L'œuvre de Claude Lévêque articule objets et lumières et s'empare puissamment des lieux et des spectateurs" : c'est en effet indéniable, tant les commentaires ont été nombreux sur les réseaux sociaux.
Ces deux immondices dorés sont donc prévus pour rester toute l’année 2019 à Garnier ? Joyeux anniversaire l’Opéra de Paris ... pic.twitter.com/smO2Zxx0vA
— Guillaume Giraudon (@Guiguiii94) 30 décembre 2018
La première objection faite à l'œuvre argue d'une "inadéquation" de l'objet (deux pneus de tracteur) avec le lieu et la célébration d'un anniversaire, a fortiori dans un endroit qui n'en aurait pas besoin (alors que bien d'autres espaces publics pourraient être embellis par l'art). Une autre publication relayée associe l'objet et l'anniversaire pour offrir une carte de vœux humoristique :
Rarement déçu par l’Opéra de Paris et leurs cartes de vœux. Merci Stéphane et une belle année ! pic.twitter.com/0v874qVwYV
— AuCafeFrancais (@AuCafeFrancais) 31 décembre 2018
Ces deux pièces font partie d'un Dispositif conçu par Claude Lévêque. Ayant reçu une carte blanche de l'Opéra de Paris, l'artiste plasticien français né en 1953 (qui vit et travaille à Montreuil en Seine-Saint-Denis) a mis en résonances plusieurs œuvres, à Garnier et à Bastille. Les roues mesurant 2 mètres de diamètre, trônant au sommet de l'escalier à Garnier sont en fait un modelage puis un moulage en résine recouvert de feuilles de cuivre. Elles ont été réalisées par les ateliers de décors de l’Opéra de Paris d'après un vrai pneu. Elles sont le point de départ menant (à travers le "parcours dans un monde chimérique") vers les anneaux lumineux dans la Rotonde et le bassin de la Pythie. Autant de sources lumineuses vouées à magnifier l'éblouissement des lieux et de l'art, tandis que la forme sphérique se veut être un "carrousel, une invitation à la danse, à la valse".
Le bâtiment de Bastille se voit pour sa part couronné d'un diadème aux 16 branches d'inox illuminées la nuit, une référence aux jambes tendues des artistes du Ballet exécutant le Lac des Cygnes.
L'ensemble du dispositif, à Bastille comme à Garnier, restera toute l'année, jusqu'en décembre 2019. Justement, les "Saturnales" étaient des fêtes romaines qui se tenaient en décembre (une semaine avant le solstice d'hiver), l'occasion d'offrir des cadeaux, de gâter les enfants, d'accrocher du houx et du gui : Noël avant l'heure.
Claude Lévêque avait déjà collaboré avec l'Opéra de Paris, pour des réalisations concernant également la danse ainsi que les souterrains de Garnier. En 2010, il signait la scénographie du ballet Siddharta sur une chorégraphie d'Angelin Preljocaj ici dansée par l'étoile Nicolas Le Riche et l'actuelle directrice du ballet de l'Opéra national de Paris, Aurélie Dupont :
En juin 2017, Claude Lévêque signait également une vidéo pour la 3e Scène (l'espace numérique de l'Opéra de Paris) intitulée Le Lac Perdu, "une invitation au voyage, une déambulation onirique dans l’univers des Opéras Garnier et Bastille."
Reste à voir comment évoluera la réaction des spectateurs et visiteurs à Garnier et à Bastille au fil de l'année face au dispositif "Saturnales" de Claude Lévêque. Certaines œuvres d'autres artistes, installées dans des hauts lieux de la culture et de la vie française, ont suscité des réactions d'une violence incomparable ces dernières années : Paul McCarthy avait été agressé pour son "Tree" place Vendôme en 2014, "Dirty Corner" d'Anish Kapoor à Versailles avait été recouvert d’inscriptions antisémites en 2015. Pour sa part, le "Bouquet of tulips" de Jeff Koons ne sera pas installé sur le parvis du Palais de Tokyo suite à des polémiques.
Mais les polémiques ne datent pas d'hier, certaines réalisations ayant fini par être acceptées : qu'il s'agisse de la Pyramide du Louvre, des colonnes de Buren dans la cour d'honneur du Palais-Royal, voire des bâtiments eux-mêmes (le musée Beaubourg mais aussi l'Opéra Bastille).