Mikhail Timoshenko : « M’épanouir avec Mozart et Rossini »
Mikhail Timoshenko, vous serez prochainement à l’affiche de Boris Godounov de Moussorgski à l’Opéra Bastille. La mise en scène d’Ivo van Hove en est attendue : que pouvez-vous nous en dire ?
Il s’agit de ma première collaboration avec ce metteur en scène : travailler avec lui est un grand honneur. Il nous fait entrer en profondeur dans le texte du livret et dans la partition. Le chef d’orchestre l’aide beaucoup avec le traitement de la langue russe, notamment en ce qui concerne les intonations des mots, car la langue de Boris Godounov n’est pas facile à comprendre, y compris pour les Russes. Le travail d’Ivo van Hove, mené lentement mais avec assurance, est impressionnant.
S’agit-il d’une mise en scène moderne ?
Il s’agit d’une mise en scène à la fois moderne et classique. Lorsque l’on évoque une mise en scène moderne, on peut imaginer quelque chose de très spécial et d’un peu fou, ce qui n’est pas le cas ici : ce serait plutôt minimaliste.
Il y aura deux directeurs musicaux, d’abord Vladimir Jurowski puis Damian Iorio. Travaillez-vous avec les deux en même temps ?
Non. Nous travaillons actuellement avec Vladimir Jurowski, un chef formidable. J’avais de grandes attentes, mais il les comble largement. J’ai toujours voulu travailler avec des chefs russes sur de la musique russe. Or, même si je viens de Russie, je n’avais jusqu’ici jamais eu l’occasion de travailler ce répertoire sur scène. Il m’a vraiment permis de découvrir comment chanter cette langue.
Vous êtes l’artiste de l’Académie qui a été le plus sollicité pour chanter sur la scène de Bastille. Comment l’interprétez-vous ?
C’est une grande chance pour moi, et je suis très heureux d’être ici, même si j’ai jusque-là chanté des petits rôles, comme un Député flamand dans Don Carlos ou Silvano dans Un Bal masqué. L’année prochaine sera plus intéressante avec le rôle de Masetto dans Don Giovanni. Le plus important pour moi, c’est de regarder comment les grands musiciens, les grands metteurs en scène, les grands chanteurs travaillent. Lorsque je suis sorti de l’Académie, j’avais encore la sensation de ne rien savoir. On y a appris à chanter, à être musicien, mais on ne s’est pas connecté avec la vie réelle. Ainsi, je me suis donné un but cette saison : étudier, regarder, répéter, et lier mes études, mes savoirs avec le monde réel de l’opéra.
Qu’avez-vous appris, par exemple ?
J’ai appris que l’opéra doit refléter la vie : il faut connaître la vie pour créer. C’est la condition pour que le public s’identifie à ce qui se passe sur scène. Par ailleurs, j’ai construit des relations avec des artistes, des techniciens, des danseurs. J’ai aussi découvert le fonctionnement d’autres maisons : en avril, j’étais ainsi à Monte-Carlo.
Que retenez-vous de votre prestation à Monte-Carlo dans Les Brigands (ici en compte-rendu) ?
C’était un petit rôle, mais il était intéressant de se confronter à la vie réelle d’un chanteur professionnel. Il était également passionnant car c’est du vrai Verdi, nécessitant de chanter avec tout son corps, en ouvrant grand la bouche. La distribution était d’un très haut niveau, ce qui m’a encore permis de regarder, étudier et échanger.
Qu’attendez-vous de votre Masetto dans Don Giovanni la saison prochaine ?
Masetto sera mon premier grand rôle, pour mes débuts à Garnier dans une nouvelle production. Je travaille déjà bien sûr la partition afin d’arriver prêt au moment de la production, et même en capacité de proposer. Je sais que ce sera une production formidable, avec un bon chef d’orchestre, un bon metteur en scène, et une excellente distribution. Me mettre au niveau de ces gens-là me semble déjà un objectif ambitieux !
Vous participerez également à Simon Boccanegra : vous retrouverez Ludovic Tézier (ici en interview) que vous avez côtoyé sur Don Carlos : que retenez-vous de lui ?
Je l’adore. Il est l’un des plus grands barytons de notre époque, si ce n’est le plus grand, non seulement sur le répertoire verdien, mais aussi dans des registres très différents.
Comment avez-vous vécu ce Don Carlos très médiatique de l’intérieur ?
Malheureusement, cette production n’était pas un événement aussi chaleureux et brillant qu’on pourrait se l’imaginer, car la production était colossale. Même si la distribution était fabuleuse, ma situation était compliquée. Les députés flamands ont l’une des plus belles mélodies de l’opéra mais elle ne dure que 5 ou 7 minutes sur 5 heures de musique, et nous n’avons pas de partie soliste. Je ressentais une certaine frustration parce que je ne me sentais pas pleinement intégré à cette production. Dans Boris Godounov, je chante également quelques minutes, mais je travaille sur la scène et j’ai un rôle de soliste. C’était toutefois une expérience extraordinaire, et tout le monde était très aimable avec nous, notamment Ludovic Tézier.
Votre expérience à Paris vous a permis de travailler avec de nombreux chefs et metteurs en scène prestigieux. Que retenez-vous de ces projets ?
En premier lieu, je retiens Michael Schønwandt (ici en interview) dans Wozzeck de Christoph Marthaler. Il s’agissait de mon premier rôle à Bastille. Lorsque j’ai regardé la partition, j’ai eu du mal à m’y intéresser : je la trouvais sans harmonie, sans belles mélodies. Ma femme m’affirmait pourtant que c’était une musique très touchante. Lorsque j’ai commencé les répétitions et que Michael Schønwandt nous a expliqué cette musique avec des mots très simples, j’ai eu une révélation. Dix jours après le début des répétitions, j’étais tombé amoureux de la musique de Wozzeck… et de Michael Schønwandt ! L’orchestre était également très énergique avec ce chef. La musique respirait.
En fin d’année vous donnerez un récital à l’amphithéâtre de Bastille. Que voulez-vous que le public retienne de ce récital ?
Il m’a fallu du temps pour concevoir le programme, car j’ai beaucoup réfléchi à ce que je souhaitais entreprendre. J’ai proposé un mélange de musiques russes et françaises, car je suis Russe et que j’ai appris à chanter à Paris : je me sens donc un peu français. Le récital va embrasser de la musique postromantique parce que j’ai un rapport particulier avec cette époque. Cette musique touche mon cœur, et je souhaiterais toucher celui du public avec ce répertoire. En russe, il y aura une petite surprise qui devrait plaire au public. La partie française comprendra un cycle d’airs de Ravel, de Ropartz et quelques chansons de Duparc.
S’agira-t-il de Don Quichotte ?
Oui, cette œuvre me touche, comme celle de Ropartz, toutefois un peu plus difficile. Une des raisons qui m’a amené à choisir ce cycle est la poésie de Heine. Je voudrais essayer de toucher le cœur des Français avec de la poésie allemande.
Le récital est-il une forme à laquelle vous souhaitez donner de l’importance dans votre carrière ?
Oui, parce qu’avec mon type de voix, les grands rôles pour baryton-basse ne me seront accessibles que dans quelques années, vers 30-35 ans, voire 40 ans pour Boris. D’ici-là, je ne veux pas me contenter de rôles comme Silvano ou le Député flamand. La musique de chambre m’intéresse beaucoup, d’autant que je peux la pratiquer avec ma femme qui est pianiste. En janvier dernier, nous avons d’ailleurs gagné un grand concours de musique de chambre en Autriche, le Franz Schubert und die Musik der Moderne à Graz. Désormais, nous préparerons d’autres compétitions pour le mois de septembre. Mon récital va être un bon moyen de m’y entraîner.
Vous avez travaillé Un Bal Masqué, Don Carlos, Les Brigands et vous allez aborder Simon Boccanegra. Vous projetez-vous dans le répertoire verdien ?
À l’heure actuelle, je ne souhaite pas travailler spécifiquement Verdi, car je peux également chanter du Mozart ou du Rossini : c’est même plutôt sur ce répertoire que je pourrai m’épanouir dans les dix prochaines années. Le répertoire verdien demande beaucoup de voix : pour le moment, je dois travailler et étudier d’autres rôles. Peut-être que dans quelques années j’arriverai à des rôles verdiens intéressants. Chanter Pietro ne me préparera pas vocalement à ces rôles, mais cela me permettra d’observer Ludovic Tézier et de voir si je pense être capable de chanter Simon dans quelques années : c’est d’ailleurs aussi pour cela que l’Opéra m’a confié ce rôle.
Vous mentionnez Mozart et Rossini : quels rôles souhaiteriez-vous aborder ?
Figaro dans Les Noces est un rôle pour ma voix, avec beaucoup de récitatifs. Chez Rossini, Figaro ou Alidoro seraient parfaits. Le Voyage à Reims et le Comte Ory seraient aussi intéressants. Il y a des projets en discussion sur ces répertoires, mais pas à l’Opéra de Paris.
Que voudriez-vous vous construire comme rôle-signature pour ouvrir les portes des maisons d’opéra.
Ce pourrait être Figaro dans les Noces, ou Don Giovanni. Ce dernier est mon "opéra enchanté" parce que je peux y chanter à la fois Don Giovanni et Leporello.
Vous êtes arrivé à l’Académie en 2015. Quels souvenirs gardez-vous de votre arrivée ?
Je pensais que je chantais très bien, parce qu’à Weimar j’étais l’un des meilleurs. En arrivant j’ai été interloqué de voir que tout le monde parlait quatre langues et chantait divinement. J’étais comme une grenouille au fond d’un puits qui pense que le ciel se limite au petit rond qu’il aperçoit, jusqu’à ce qu’il sorte et se rende compte de son immensité.
Au moment où vous êtes arrivé, il y avait un documentaire qui était tourné à l’opéra. Jean-Stéphane Bron (ici en interview) a décidé de vous suivre. Que vous êtes-vous dit lorsqu’il vous a proposé cela ?
Je ne me suis pas rendu compte de l’ampleur de ce qu’il faisait. Il m’a simplement demandé s’il pouvait me suivre pour quelques scènes, ce que j’ai accepté. Je devais simplement agir comme s’il n’était pas là.
Ce film a été vu par un large public. En avez-vous ressenti les conséquences sur votre notoriété ?
Je ne me suis jamais posé la question. Ce film était pour moi une grande surprise : Jean-Stéphane Bron ne faisait que regarder et enregistrer des choses simples. Son montage a permis d’en proposer une histoire très touchante et en même temps très proche de la réalité.
Qu’avez-vous ressenti lorsque vous l’avez regardé ?
J’ai voulu sortir ! C’était toutefois une très belle expérience. Jean-Stéphane Bron a montré notre monde et mon histoire tels qu’ils sont, sans trop romancer. On percevait bien les questionnements auxquels nous sommes confrontés, notamment le fait que la vie professionnelle approche peu à peu au fil de nos études. Cela m’a touché. Mon expérience n’est pas celle d’un individu en particulier, mais celle de nombreux chanteurs. Cette histoire a touché beaucoup de cœurs.
Vous n’êtes plus à l’Académie désormais. Comment occupez-vous votre temps entre deux productions ?
Je partage mon temps entre la France et l’Allemagne. Je prépare mes futurs concerts, ainsi que les compétitions pour lesquelles nous concourrons en duo avec ma femme. Bref, je n’arrête pas ! Je suis jeune et plein d’énergie : c’est le moment de faire tout cela !
Quels sont vos projets pour les prochaines saisons ?
La saison prochaine, je participerai au Simon Boccanegra de Paris, puis je chanterai Basilio dans la mise en scène de Pelly du Barbier de Séville à Bordeaux [aux côtés de Levy Sekgapane, à retrouver ici en interview, ndlr]. Je participerai en février au Luxembourg à la création mondiale de En silence, composé par Alexandre Desplat, qui a gagné un Oscar pour son travail au cinéma. Ce sera ma première participation à une création. Enfin, il y aura Masetto.
Y a-t-il d’autres projets prévus avec l’Opéra de Paris ?
Rien n’est décidé à ce stade, même si Don Giovanni devrait être repris en 2020.