Le Tribut de Zamora à Saint-Etienne : 3. Iglésia, l’esclave par Clémence Barrabé
« Tout d’abord il s’agit de se mettre dans le contexte du IXe siècle, où les espagnols chrétiens se retrouvent dominés par le calife, lequel étant ici représenté par Ben-Saïd, qui vient s’assurer que le tribut imposé est bien respecté. Un tirage a lieu afin de découvrir quelles seront les deux jeunes femmes qui seront donc arrachées à leur peuple afin de partir avec Ben-Saïd, et de devenir esclaves. Celui-ci étant tombé follement amoureux de Xaïma, il n’impose qu’un nom sur le tirage au sort : Iglésia une orpheline déposée au pied d’une église comme cela se faisait couramment à l’époque où les orphelinats n’existaient pas encore. Iglésia se présente donc à tous, à la surprise générale, racontant avec une grande simplicité et une grande humilité son histoire. Si elle connaît les protagonistes à force d’observer tous ceux qui l’entourent, elle n’en demeure pas moins inconnue pour la plupart. En effet Iglésia observe encore et encore, car elle est à l'affût du moindre geste d’amitié, d’affection, n’importe quelle forme d’amour à son égard. Elle se sait aimée de Dieu, mais elle aimerait tant l’être aussi par quelqu’un sur la terre des hommes… Lorsqu’elle racontera son histoire, elle attendrira le roi en personne qu’elle “bénira” donc jusqu’à sa mort.
Après tout cela, Iglésia acceptera son sort, avec compassion pour Xaïma, sa compagne d’infortune. En effet, cette dernière est aimée de Manoël qui va se battre pour retrouver son amour et l’épouser. Une fois esclave, elle se réjouira de contempler les beautés du monde qui l’entoure. Iglésia est un être de contemplation. Elle n’est pas malheureuse, car elle sait regarder par-delà la réalité des hommes, et ce qu’elle y voit est plus grand.
Iglésia pourrait être une allégorie de l’art et Gounod était un homme très religieux. Dans son dernier opéra, Gounod a fait certainement le trait d’union entre l’art opératique et l’art sacré pour lesquels il a donné beaucoup de son temps et de son talent. Iglésia représente pour moi ce trait d’union. C’est un être de dépouillement qui Touche pourtant au cœur. Gounod n’écrit aucun de ses grands effets musicaux dans la partition d’Iglésia. Il n’est pas question de prouesse vocale ou technique, mais d’offrir, de tout son cœur les mots de cette petite personne des plus ordinaires. Le chanteur est avant tout un serviteur du verbe. Avec Iglésia, Gounod nous amène à réfléchir sur notre propre dépouillement. Arrêtons-nous un instant avec Iglésia, observons avec elle les Hommes qui nous entourent. Ne cherchons-nous pas tous, la même chose ? Ne sommes-nous pas tous à l'affût de ces “bras tendus vers nous” ?
Cette esclave se retrouve à présenter sa Barcarolle, une ode à la Création. Elle nous invite à la contemplation de ce qui nous entoure, et qui pourtant nous dépasse :
La grande difficulté de ce rôle est qu’il nécessite une parfaite mise à nu de son interprète, sans peur du jugement. Bien sûr il faut maîtriser sa voix, la musique, mais ne pas avoir peur du jugement de l’auditeur, car l’imperfection fait partie de l’humanité de ce personnage dont personne ne veut. Peut-être n’est-elle pas de celles que l’on remarque (paradoxe pour une chanteuse qui se trouve sur scène pour être vue et entendue), mais elle nous emmène quelque part avec discrétion, dans le monde de l’invisible.
Je suis venue à Saint-Etienne chanter Donna Anna dans la production du Don Giovanni de Mozart mise en scène par Laurent Delvert et dirigée par Giuseppe Grazioli. Ce fut un excellent souvenir. Après l’année Covid, je suis revenue à l’opéra pour un Requiem de Mozart, toujours sous la direction de Giuseppe Grazioli (se voir engagée pour cette œuvre est toujours une belle marque de confiance et un beau cadeau). J’y retrouvais alors Guilhem Worms qui était le Leporello de notre Don Giovanni stéphanois. Je me réjouis de revenir à Saint-Etienne, et je serai alors heureuse d’y saluer à nouveau les chaleureuses et talentueuses petites mains de l’ombre dans les différents ateliers de l’opéra, et le public stéphanois bien entendu. Personnellement, l’Opéra de Saint-Etienne est toujours une maison pour laquelle j’ai beaucoup de joie à travailler.
Le public, qui me semble attaché à son théâtre, est fidèle. J’y ai fait de belles rencontres, et je peux même dire, de très bons amis. »
Rendez-vous chaque jour pour un nouvel épisode de cette série où les artistes vous présentent Le Tribut de Zamora par leurs personnages, et réservez vos places pour Saint-Etienne ces 3 et 5 mai 2024 à cette adresse.
1. Xaïma par Chloé Jacob
2. Hermosa par Élodie Hache
3. Iglésia, l’esclave par Clémence Barrabé
4. Manoël par Léo Vermot-Desroches
5. Ben-Saïd par Jérôme Boutillier
6. Hadjar et le Roi par Mikhail Timoshenko
7. l’alcade Mayor et le Cadi par Kaëlig Boché
8. le metteur en scène Gilles Rico
9. le Chœur par Laurent Touche
10. l'Orchestre par Hervé Niquet