Le Tribut de Zamora à Saint-Etienne : 4. Manoël par Léo Vermot-Desroches
« Je joue donc Manoël, un soldat espagnol qui vit à Oviedo. L'opéra ouvre avec une préparation de mariage entre Xaïma et Manoël. Cette première scène est peut-être la seule de l'opéra avec un caractère joyeux sans nuages. On comprend que Manoël est le jeune premier. Mais Manoël est surtout un guerrier. On le découvre dès la deuxième scène. Il est très sanguin et cela cause des problèmes. C'est peut être même lui qui va engendrer toute l'histoire de l'opéra, en s'opposant à l'envoyé du calife (Ben-Saïd). Celui-ci semble vraiment apprécier la future mariée. Cette confrontation entre Ben-Saïd et Manoël va amener beaucoup de soucis avec notamment le retour à l'impôt que cette ville doit au calife (100 vierges) et comme par hasard Xaïma est tirée au sort. Manoël fait appel aux armes ! Il veut sauver Xaïma. Il part alors seul et, en chemin, il rencontre Hadjar. C'est là que nous découvrons une autre facette du personnage : Manoël a aussi le cœur sur la main, il n'aime pas la guerre pour la guerre, il a soif de véritable justice (de par et pour son peuple vaincu). En effet, on apprend qu'il a sauvé Hadjar un ennemi (le frère de Ben-Saïd), dans l’ancienne bataille.
De péripéties en péripéties, Manoël va finir par (se) sauver (avec) Xaima, et s'enfuir avec elle et sa mère retrouvée.
Ce rôle est assez lourd au niveau de la présence scénique et vocale. Dans son écriture, on sent ce côté soldat et guerrier qui est très mis en avant. Il y a beaucoup d'élans et je dirais même de violence dans l'écriture. Le personnage est rarement calme, il traverse l'opéra avec ce but unique de rétablir le petit nuage sur lequel il était dans la première scène. Et, finalement, il voit Ben-Saïd son rival et se confronte de nombreuses fois à lui. C'est un peu un combat de coqs (comme le passage où ils essaient tous les deux de remporter aux enchères Xaïma qui a été faite esclave). Toutes ses scènes créent finalement un personnage qui est en tension et vers l'avant continuellement (à part peut être dans l'air du 4ème acte que j’ai choisi de citer ici). Les indications des didascalies le prouvent : menaçant, avec un cri, avec force, jetant un cri, avec rage, épuisé, désemparé. Il a une figure héroïque, et semble porter trop pour un seul homme. Je trouve que cela résume bien la partition qui est assez intense vocalement et qui va chercher une tessiture en conséquence. Comme le finale de l'acte deux qui va chercher un contre-ut final, comme un cri désespéré suite à l'échec, accompagné par un chœur vindicatif. Il y a un petit côté du Trouvère de Verdi.
Au début de l'acte 4, un moment un peu particulier pour ce personnage si vaillant montre en lui une brèche. Après de nombreux échecs. Il réussit à entrer à nouveau dans les jardins du palais de Ben-Saïd, là où Xaima est retenue captive (c'est la petite nouvelle du harem). Il ne voit plus d'issue, il est seul et désespéré d'un jour pouvoir vivre avec Xaïma. Il est ensanglanté et rage encore contre Ben-Saïd. Si Xaïma vit ici alors c'est ici que lui-même doit mourir. On commence par une introduction dépressive puis un récit tout en hésitation. Manoël vient se donner la mort ici (ou tenter une attaque vaine contre Ben-Saïd ?) mais il doute, quelque chose le retient. Dans ces instants de vide, Manoël pleure : un moment de faiblesse extrême pour ce personnage qui ne fut que courage, force et rage depuis le début de l'aventure. Dans l'air qui suit, Manoël se demande pourquoi hésiter, il n'a plus rien qui puisse le retenir sur Terre (instant catholique comme on en trouve d'autres dans la partition). Il parle de la Terre comme un endroit de souffrance, un asile sans espoir, alors que les cieux vont pouvoir s'ouvrir pour lui, même s'il sent bien combien "le coeur de Manoël tient toujours à la Terre", son coeur "est las de lutter" et il se décide à un adieu. S'ensuivra, dans le numéro suivant, un duo de noces funèbres, qui peut rappeler l'histoire de Roméo et Juliette.
C'est un moment qui sort du cadre du soldat, dans l'écriture aussi. Il y a ici une autre manière de traiter le rôle. Il y a plus de phrases lyriques, en gardant toujours une écriture assez large. C'est aussi le moment touchant, où le public accède un peu plus au personnage, la fragilité le rend très humain.
La difficulté pour cet air c'est son emplacement dans l'opéra. il arrive au 4ème acte après de nombreux passages intenses. Il faut donc réussir à "en garder sous le capot" pour tout l'acte, car le duo et le trio qui suivent sont aussi très intenses.
Je suis très heureux de revenir à l'Opéra de Saint-Étienne. J'y ai fait une version réduite de Manon de Massenet en Chevalier des Grieux, c'était un moment important pour moi, tester ce répertoire sur scène c'était un challenge. J'ai adoré l'acoustique de la salle, elle me permet d'aborder ces rôles intenses sereinement. J'ai fait aussi l'année dernière Malcolm dans Macbeth de Verdi, et je reviendrai en début d'année prochaine ! »
Rendez-vous chaque jour pour un nouvel épisode de cette série où les artistes vous présentent Le Tribut de Zamora par leurs personnages, et réservez vos places pour Saint-Etienne ces 3 et 5 mai 2024 à cette adresse.
1. Xaïma par Chloé Jacob
2. Hermosa par Élodie Hache
3. Iglésia, l’esclave par Clémence Barrabé
4. Manoël par Léo Vermot-Desroches
5. Ben-Saïd par Jérôme Boutillier
6. Hadjar et le Roi par Mikhail Timoshenko
7. l’alcade Mayor et le Cadi par Kaëlig Boché
8. le metteur en scène Gilles Rico
9. le Chœur par Laurent Touche
10. l'Orchestre par Hervé Niquet