Pelléas et Mélisande à Liège : Golaud par Simon Keenlyside
« J'ai passé de nombreuses années à chanter Pelléas, j'adore ce garçon et j'adorais le chanter. Cependant, malgré cette joie profonde et le fait qu’il me manque profondément, je préfère la profondeur du personnage de Golaud. Les jeunes hommes amoureux ont généralement une belle dimension, mais ils sont représentés plutôt simplement.
Golaud est complexe, fascinant et à plusieurs niveaux. Golaud est le produit de sa vie solitaire. Bien sûr, les sombres forêts d'Allemonde (dans cette pièce) reflètent aussi la nature de Golaud lui-même. C'est une créature de la forêt, à l'aise dans la nature sombre et sans fin. Il trouve sa voie et il a ses stratégies pour faire face à l’existence, sans lumière et sans amour.
Les problèmes commencent bien sûr lorsque le ‘vaisseau spatial’ qu'est Mélisande débarque dans sa vie et la perturbe complètement.
Je pense que le jeu consiste à essayer de montrer clairement la nature de ce qu’est l'homme : c’est-à-dire ne pas essayer de tout montrer d’un coup.
Golaud est autonome et calme, et il est gentil, et il est aimant, et il est jaloux, et il a de la rage en lui, et il est meurtrier.
Mais Golaud n’est pas tout cela à la fois. L’artifice d’une pièce est de révéler les différentes qualités du personnage uniquement lorsqu’on le lui demande. Et ces couleurs sont à la fois physiques et vocales. Il faut s'efforcer de ne pas être tout le temps « tout à tous ».
Il faut essayer de montrer la fureur et l'effondrement émotionnel... sans lui permettre de brusquer la voix. C'est un problème pour tous les rôles dans lesquels le personnage a une scène folle. L'agressivité de Don Giovanni, la folie de Macbeth, ou encore le désespoir de Rigoletto… c'est toujours le même problème : la nécessité de protéger la voix tout en déstabilisant radicalement le public. C'est un beau défi, indispensable si l'on veut arriver au bout de l'opéra d'une manière saine et forte.
Le passage qui m'occupe sans fin, c'est donc la scène après le meurtre de Pelléas.
Golaud est dans la chambre de Mélisande, avec Arkel et le docteur. Elle se réveille et il essaie d'engager une conversation avec elle, mais il ne sait pas quoi dire.
Golaud doit montrer qu'il est brisé, qu'il est plein de remords, qu'il brûle de questions à lui poser. Cette seule phrase : "Mélisande, as-tu pitié de moi comme j'ai pitié de toi" contient tellement plus d'informations que ce que dit le texte. C’est un magnifique défi de couleur, de position du corps, et de voix pour le chanteur.
Puis, lentement, la tension monte, car Golaud n'obtient pas les réponses qu'il souhaite. Il est tellement absorbé par sa douleur, par l’acide de “ne pas savoir” qui le ronge, que ces questions deviennent une sorte de folie. Mais tout doit demeurer, dans l'incertitude : simplement, brisée, gémissante.
Je n'ai jamais chanté à l'Opéra de Liège auparavant. Bien sûr, je suis bien conscient de sa réputation et j'ai énormément hâte de participer à cette aventure avec l’une des plus grandes pièces de théâtre musical jamais écrites.
Le défi ultime pour tout chanteur est de chanter le rôle dans la langue du public, c'est un privilège et une joie particuliers (de savoir qu'il est avec vous et avec le livret, tout le temps). Sans surtitres et sans réactions différées.
C'est l'une de mes plus grandes joies. »
Retrouvez ci-dessous les 10 épisodes de cette série dans laquelle les interprètes de cette production nous présentent leurs personnages (et pour réserver vos places, le lien est ici) :
1. Pelléas et Mélisande par Renaud Doucet
2. Pelléas par Pelléas par André Barbe
3. Pelléas par Pelléas (Lionel Lhote)
4. Golaud par Simon Keenlyside
5. Arkel par Inho Jeong
6. Geneviève par Marion Lebègue
7. Yniold par Judith Fa
8. le médecin par Roger Joakim
9. l’enfance d’un chef
10. interludes