Dialogues des Carmélites à Liège : Marquis de La Force
« Le Marquis est le père de Blanche, un aristocrate un peu dépassé par les événements, commence Marie Lambert-Le Bihan, metteuse en scène de cette nouvelle production liégeoise. Toute la bonté de ce père démuni face à tous ces événements est touchante. Cette forme de passivité n'est pas de l'indolence ou de l'indifférence face aux angoisses de sa fille et aux questions du Chevalier. Le marquis a ce passage incroyable de la vision d'horreur de la mort de sa femme. Il la rend encore tangible quand il parle d'elle.
Là aussi Bernanos et Poulenc dessinent en quelques minutes les traits d'un caractère avec sa richesse et profondeur émotionnelle. Or, le Marquis doit être le passeur en quelques instants de tout un univers : la mort de la mère de Blanche, les personnages évoqués tel que l'ami qui est le mari potentiel de Blanche, leurs enfants qu'elle n'aura pas, le laquais qui paraît aussi terrorisé que Blanche sans qu'on sache exactement pourquoi, la gouvernante qui devrait être là (seule figure féminine de ce foyer), le départ de Blanche vers une autre famille qu'elle va perdre également, tout cela en attrapant immédiatement le spectateur pour ne plus le lâcher. »
« Le Marquis de la Force est un aristocrate du XVIIIe siècle, poursuit Patrick Bolleire. Fier, réaliste, autoritaire mais en même temps émotif, le Marquis utilise l'ironie pour se détacher des évènements qui l'accablent, notamment la mort de sa femme. La scène d'ouverture est d'abord un dialogue entre le Marquis et son fils. Ce dialogue sert de prétexte à nous introduire le personnage trouble et central de Blanche. Une fois Blanche en scène, on entre dans la confrontation entre elle et son père. Elle nous révèle ses interrogations métaphysiques et spirituelles, qui sont d'abord raillées par le Marquis avant que celui-ci ne renvoie Blanche à sa propre conscience. Il lui laisse ainsi le choix de sa destinée. Il est très attaché à sa famille et surtout à sa fille Blanche. Il essaie de la protéger du danger qui menace la noblesse lors de la révolution française et de la convaincre de ne pas entrer au couvent des Carmélites. Mais il finit par céder à ses vœux, tout en la mettant en garde contre les "conseils d'une dévotion exaltée".
Sur le plan vocal, le rôle du Marquis est court mais exigeant. Il a été créé en 1957 [en français à Paris, dans la foulée de la création en italien à La Scala, ndlr] par Xavier Depraz, basse chantante. Il peut également être distribué à un baryton au médium fourni. Il demande un registre aigu très costaud mais également le sens de la prosodie et, bien sûr, une articulation du texte qui fasse passer ses idées clairement. Car en une grande scène d'un quart-d'heure, énormément d'informations sont révélées qui permettront plus loin de saisir le caractère de sa fille Blanche.
En répétant cette prise de rôle dans l'intimité de mon studio, je me surprends déjà à voir les nombreuses possibilités d'interprétation et les sous-textes qui en découlent : le texte est suffisamment riche pour nourrir le personnage.
C'est une musique du XXe siècle qui contient de nombreuses fulgurances harmoniques et mélodiques qui frappent par leur intensité. Le sujet est très puissant et peut toucher un large public car il renvoie à des questions très personnelles, notamment sur notre rapport à la religion, la foi, la mort et l'espérance. »
(Re)découvrez ces personnages poignants au fil des 10 épisodes de cette série, puis du 21 du 29 juin à l’Opéra de Wallonie-Liège.