Les Lombards de Verdi à l’Opéra de Liège : Arvino
« Arvino, fils ainé de Folco, avait, avant le début de l’action, été victime d’une tentative de fratricide par son frère Pagano. Le rideau se lève sur une scène de réconciliation entre les deux frères, une demande de pardon à laquelle personne ne semble croire : et pour cause, puisque Pagano essayera une nouvelle fois de le tuer, pendant la nuit (mais il se trompe et assassine leur père). Or le délit de parricide, depuis l’antiquité (que l’on songe au mythe d’Œdipe) est un péché que personne ne peut pardonner : voilà pourquoi Pagano décidera de s’exiler en Terre Sainte et de devenir ermite. Arvino, quant à lui, demeure le patriarche de la famille, dépositaire de l’autorité paternelle, du droit et, surtout, de la morale : il sera la clef de voûte de l’histoire, puisque c’est lui qui, à la fin de cette longue odyssée, arrivera à Jérusalem avec les croisés.
Après Oberto, Nabucco et le Baron de Kelbar, Arvino est le quatrième père créé par Verdi, le seul dans cette catégorie que je pourrai chanter dans ma vie. On sait combien le musicien était attaché à ces personnages, et même si je suis encore relativement jeune je serai heureux de me glisser dans la peau de ce personnage paternel.
Dès le début, j’ai adoré le rôle d’Arvino, qui s’inscrit de façon idéale dans l’évolution de mon parcours artistique. Il s’agit du secondo tenore de l’œuvre, puisque Oronte en est le jeune premier. Mais justement, il s’agit d’un rôle de transition entre une conception rossinienne, qui attribuait les pères aux ténors (il suffit de rappeler les cas d’Argirio dans Tancredi ou de Contareno dans Bianca et Falliero), et la vision romantique, qui en fera l’amoureux de l’histoire. Du coup, j’ai un passé et un présent comme ténor rossinien (mes participations aux Rossini Opera Festival de Pesaro en attestent) mais je suis en train d’évoluer vers un caractère plus lirico : j’ai fait mes débuts en Macduff dans Macbeth, ou encore en Edgard Ravenswood dans Lucie de Lammermoor, la version française du chef d’œuvre de Donizetti. Voilà pourquoi Arvino me tient à cœur, dans ce moment charnière de ma carrière.
Bien que présent du début à la fin de l’œuvre, deux passages de ce rôle sont particulièrement intéressants. Tout d’abord le quintette initial : Arvino fait semblant de pardonner à son frère Pagano, mais il sait très bien qu’il s’agit d’un geste purement politique. Le doute circule, la résistance au pardon est très forte.
Comme je l’ai anticipé, Arvino est un personnage monolithique : on le voit surtout dans la très belle page qui lui est consacrée au troisième acte. Sa fille Giselda a fui avec Oronte, avec un infidèle, sur un « cheval arabe » : face à la présence des chevaliers croisés, il maudit sa naissance, furieux pour la honte qui tombe sur sa famille. C’est un passage court (le premier Verdi va toujours à l’essentiel) mais particulièrement intense. Le chant se fait tendu, l’aigu doit être dardé avec insolence : je ferai de mon mieux pour restituer toute la haine qui masque la douleur du personnage.
Enfin, sa participation au trio final, devant les portes de Jérusalem, est à la fois grandiose et libérateur : le pardon l’inspire, la foi le guide vers la ville sainte.
Je suis sûr et certain que le public liégeois va aimer I Lombardi. Cette œuvre garde le souffle risorgimental [lié au Risorgimento : l’indépendance et l’unité italienne que soutenait Verdi par ses opéras, ndlr] de Nabucco, la puissance de ses personnages, les mille rebondissements (parfois incroyables !) de l’action. C’est comme si on pouvait lire un grand feuilleton, un roman du XIXe siècle, où il faut se laisser emporter par l’énergie de la musique de Verdi, sa violence même, son engagement. J’aime souligner un dernier aspect. C’est un opéra qui nous parle de la guerre, d’une guerre d’invasion, d’une guerre terriblement cruelle. Mais je reste toujours ébahi face à la modernité du Final du deuxième acte, lorsque Giselda déplore une guerre religieuse. Que l’appel de Giselda puisse être accueilli, hier tout comme aujourd’hui, en un auspice qui j’espère sera partagé. »
Rendez-vous demain pour la suite de cette série en 10 épisodes vous présentant les personnages de cet opéra.
Et rendez-vous à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège pour cette nouvelle production mise en scène par Sarah Schinasi, et dirigée par Daniel Oren.
Et retrouvez ci-dessous les 10 épisodes de cette Série :