Edition des 10 ans du Festival de Pâques d’Aix : Pergolèse & Bach par René Jacobs
« Puisque nous donnons le Stabat Mater de Pergolèse dans la version de Bach, le choix du programme a été très facile puisque j'ai choisi mes deux cantates préférées pour contralto seule et pour soprano seule (sans chœur) : “Vergnügte Ruh, beliebte Seelenlust” [Bienheureuse paix, bien-aimée béatitude], et “Mein Herze schwimmt im Blut” [Mon cœur nage dans le sang].
J’ai un grand amour pour ces œuvres, dès le premier air de la première cantate. J'aime la dimension intimiste que propose Bach dans ces cantates (comme aussi dans celle “Ich habe genug”) : avec des moyens restreints, un petit orchestre de quelques instruments, sans chœur. Le texte a déjà une dimension intimiste, il est fait pour être lu dans le cadre d’une dévotion privée, d’une méditation. De la même manière pour le texte du Stabat Mater, qui n'est d'ailleurs pas fait pour être chanté dans la liturgie. Il a sa place dans une salle de prière, un oratoire (qui n’a pas seulement donné le genre de l’oratorio), une église, une salle de concert. Le texte a été intégré au XVIIIe siècle mais dans la liturgie catholique, pas protestante. Or, Bach qui était un protestant convaincu, un théologien même, aimait ce texte qu’il a sans doute connu toute sa vie : le texte remontant à l’Italie des XIIIe et XIVe siècles, il est d’ailleurs dans un latin “italianissime” (ce texte est si musical que presque tous les compositeurs voulaient écrire un Stabat Mater). Tout le monde peut donc le comprendre (ce qui est d’ailleurs un principe fondateur du protestantisme). Chaque strophe a des vers rimés et tout parle, par compassion même à un non-croyant : avec l’image de Marie près de son fils mourant exécuté sur la Croix.
Bach a fait du Stabat Mater de Pergolesi (que celui-ci a écrit presqu’en mourant dans un couvent à Naples) une "parodie", non pas dans le sens moderne mais dans le sens musicologique : en adaptant, en arrangeant un modèle existant à un nouveau texte, allemand en l’occurrence.
Or nous interpréterons la version de Bach, mais en réintégrant le texte latin : nous faisons donc un arrangement d'un arrangement.
Le texte en allemand choisi par Bach est celui du Psaume 51, “Tilge, Höchster, meine Sünden” Efface, Seigneur, mes péchés. Or le premier mot en allemand, “Tilge” est bien moins musical que les deux a du mot “Stabat” qui ouvre la version en latin méditerranéen.
On retrouve beaucoup de Bach dans son arrangement du Stabat Mater. Surtout dans le traitement de la partie des altos. Chez Pergolèse, ils sont condamnés à suivre la basse (à l’octave ou à l’unisson), au grand mécontentement de Berlioz par exemple qui n'aimait pas ce Stabat Mater. Et pourtant, comme Rousseau, il était obligé de baisser les armes devant le début de cette pièce. Et avec Bach, les altos du Stabat Mater sont totalement émancipés. J’invite le public à les écouter attentivement pour découvrir des éléments inattendus (a fortiori dans cette pièce où le chant des solistes est tant au premier plan).
Ce traitement des altos peut bien entendu être admiré dans les cantates de Bach, et par exemple dans celle pour contralto au programme de ce concert, les altos peuvent même jouer sans basse, pour donner un symbole essentiel : le sol se dérobe sous les pieds de celui qui vit dans le péché.
J'ai souvent dirigé la version originelle du Stabat Mater de Pergolèse mais je ne dirige désormais plus que la version de Bach.»
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Retrouvez les autres épisodes de cette série :
1- Mozart
2- Petite Messe Solennelle
3- Mahler
4- Pergolèse & Bach par René Jacobs
5- Pergolèse & Bach par Helena Rasker
6- Passion selon Saint Matthieu
7- Wagner à l’italienne
8- Vaisseau fantôme
9- Mozart, Haydn, Brahms, Wagner
10- Les Nuits d'été