Otello de Rossini à Liège : le rôle-titre
La version de Rossini s’approprie et adapte l’intrigue de Shakespeare, avec plusieurs changements : l’intrigue se déroule à Venise (et non pas à Chypre comme chez Shakespeare et Verdi). Rossini ramène en fait ainsi le personnage dans sa patrie : Otello est en effet surnommé “le Maure de Venise” car il est Général de l'armée vénitienne mais sur l'Île de Chypre. Le méchant Iago est ici moins sombre : il a même une voix de ténor, comme cinq autres des neuf personnages de l'œuvre, dont Otello et Rodrigo. En outre, Rodrigo qui tient un rôle secondaire chez Shakespeare et Verdi, est bien plus important chez Rossini, ce qui se traduit aussi par la complexité vocale de sa partition. Le chef d’orchestre de cette production liégeoise, Maurizio Benini, le souligne : “Ce choix des voix est unique, avec 6 ténors dont 3 d’une grande virtuosité, 2 sopranos et une basse, qui détermine une prédominance évidente d’une couleur générale tendant au clair et brillant, avec un équilibre sonore très difficile mais que Rossini arrive à gérer de façon parfaite.”
Sergey Romanovsky, qui incarnera, et même gravira (après l’avoir gravé au disque), le rôle-titre d’Otello à Liège, présente ainsi sa partition : “Otello est encore un jeune homme, mais il est déjà un chef de guerre très expérimenté. J’ai déjà chanté ce rôle une fois : j’en connais les difficultés. Le rôle nécessite de solides qualités scéniques pour rendre le personnage crédible, et laisser percevoir l’évolution de son état mental. Cela reste du Rossini, même s’il ne s’agit pas cette fois d’un opera-bouffe : c’est un rôle colorature, réclamant de la virtuosité. Mais il requiert également une grande endurance et un très large ambitus [écart entre la note la plus grave et la note la plus aiguë, ndlr], qui descend jusqu’au la grave, dès la deuxième strophe de la première aria (il chante le début de l’air pour illustrer son propos). Beaucoup de ténors ne chantent pas ces graves écrits par Rossini. Selon moi, il est important de respecter la partition : je chanterai ces notes, comme je l’ai fait lors de ma prise de rôle à San Carlo. Cela reste pourtant un rôle très lourd : l’orchestre est imposant, notamment durant le premier air et la scène finale”.
Le rôle nécessite en outre une adaptation constante, selon son interprète : “Au début, le rôle est très central avec des notes graves. Puis, au milieu de l'œuvre, deux magnifiques duos sollicitant des registres très différents s'enchaînent : celui avec Iago est long et lourd, tandis que celui avec Rodrigo monte dans un registre très aigu, jusqu’au contre-ré. Il faut donc très vite adapter le chant et l’état d’esprit entre ces deux duos. Enfin, on revient à un registre plus lourd pour la scène finale avec Desdemona”.
Comme dans l’Otello de Verdi, celui de Rossini doit s’imposer dès la toute première scène, ici avec l’air "Ah si, per voi gia sento", qu’interprète Sergey Romanovsky lors de sa prise de rôle au Teatro San Carlo 2016, sous la direction de Gabriele Ferro :
Ah sì, per voi già sento nuovo valor nel petto: per voi d'un nuovo affetto sento infiammarsi il cor. Premio maggior di questo da me sperar non lice. Ma allor sarò felice quando il coroni amor.
Ah oui, je sens une nouvelle animation, et de nouveaux sentiments pour vous.
Je n'osais espérer plus haute distinction mais je serais comblé si l’amour la couronne.
Retrouvez cette production du 19 au 31 décembre 2021 à l’Opéra Royal de Wallonie.
Pour naviguer parmi les Airs du jour de cette série, cliquez sur les liens ci-dessous :
1- L'Orchestre : vous avez dit Rossini ?
2- Des chœurs discrets mais essentiels
3- Le rôle-titre
4- Desdemona
5- Emilia
6- Rodrigo
7- Iago
8- Duels en duos
9- Le Gondolier
10- Le Sénateur Elmiro