CD : VITTORIO PRATO, IL BRAVO
Vittorio Prato, qui a chanté le Comte Robinson du Matrimonio segreto au dernier festival de Martina Franca et sera Silvio dans I Pagliacci à Bologne en décembre prochain, vient de faire paraître chez Illiria un CD passionnant (Il Bravo, du nom d’un opéra de Marco Aurelio Marliani créé à Paris en 1834), écho d’un concert donné il y a tout juste deux ans à Bad Wildbad.
Passionnant, cet album l'est à plus d'un titre :
Le choix de célébrer Antonio Tamburini tout d’abord. S’il est (relativement) fréquent qu’un ténor rende hommage à l’un de ses illustres devanciers, le phénomène est plus rare pour les voix graves masculines, dont les noms, au demeurant, ont peut-être eu plus de mal à traverser les années que ceux que de Garcia, Rubini, Duprez ou Nourrit. De fait, la gloire qui fut celle de Tamburini (1800-1876), créateur d’Ernesto (Il Pirata), Filippo (Bianca e Fernando), Valdeburgo (La Straniera), Riccardi (I Puritani) ou encore Malatesta (Don Pasquale), ayant triomphé sur les plus grandes scènes européennes (en Italie, mais aussi à Paris, Londres ou Saint-Pétersbourg) est aujourd’hui quelque peu oubliée, même si Offenbach lui a rendu un hommage hilarant dans son Monsieur Choufleuri, créé en 1861 aux Bouffes Parisiens.
Achille DEVERIA, Tamburini, 1833.
Deuxième centre d’intérêt : le programme lui-même, qui permet d’entendre plusieurs pages d’une grande rareté. Seuls les airs de Riccardo (Les Puritains) et Malatesta (Don Pasquale) sont bien connus du lyricophile.
Les Puritains, air de Riccardo (extrait de l'album Il Bravo)
Le duo Don Pasquale/Matatesta, avec Simone Alaimo
Mais le CD permet de redonner vie à des opéras – voire à des compositeurs : Balducci, Coccia, Generali, Marliani, Balfe – aujourd’hui bien oubliés. Or chacun des titres enregistrés constitue en soi une belle découverte, toujours très agréable à écouter, et même, parfois, franchement enthousiasmante. L’auditeur se laisse ainsi charmer par la barcarolle de Rustano (Gianni da Calais de Donizetti), le bel air de Blondello, de facture toute rossinienne, de Riccardo l’intrepido (Balducci), ou emporter par la fougue belliqueuse de l’air de Corrado dans I Briganti de Mercadante, dont Vittorio Prato a d’ailleurs également laissé un enregistrement intégral (paru chez Naxos en 2014), aux côtés de Petya Ivanova, Maxim Mironov et Bruno Praticò (direction Antonino Fogliani).
Ce CD permettra également de faire connaître au plus grand nombre l’art d’un des barytons italiens les plus en vue du moment : il n’y a guère Dandini à Bâle, Figaro du Barbier à Beaune, Marcello à Palerme, Lescaut à Hambourg ou Don Giovanni à Beijing, Vittorio Prato s’illustre dans un répertoire particulièrement diversifié, et excelle notamment dans le bel canto, comme en témoigne cet enregistrement capté sur le vif lors d’un concert donné en juillet 2017 à Bad Wildbad.
Vittorio Prato en concert à Bad Wilbad en juillet 2017
Quand on mesure l’abîme technique et stylistique qui sépare les premiers chanteurs lyriques du XXe siècle dont on ait gravé les voix et les canons de l’interprétation contemporaine, on se dit qu’il est bien difficile d’imaginer à quoi pouvait ressembler le chant d’interprètes ayant vécu en des périodes plus reculées encore. Concernant la mise en perspective des arts de Tamburini et de Vittorio Prato, trois évidences s’imposent cependant. L’ambitus tout d’abord, très large, semble être sensiblement le même : la voix de Vittorio Prato présente la même facilité d’émission, la même rondeur, la même couleur des notes les plus graves aux aigus éclatants qui couronnent les cabalettes d’Edoardo in Iscozia (Coccia) ou I Briganti (Mercadante). Le chanteur dispose par ailleurs d’un panel de nuances lui permettant d’exprimer au mieux diverses émotions (l’amour irrépressible de Riccardo dans Les Puritains, la douleur du mari qui se croit trompé et la jalousie dans le Falstaff de Balfe), ainsi que d’une technique accomplie autorisant un legato soigné, porté par un souffle habilement contrôlé (Don Pasquale), ou encore des vocalises extrêmement précises (notamment dans les reprises ornées des cabalettes) et toujours en situation (sur ce point, la comparaison entre les ornements « galants » qui concluent la cabalette de Riccardo sur les mots un tenero amor et les vocalises viriles et belliqueuses de l’air des Brigands est édifiante). Il prend soin par ailleurs de toujours incarner au mieux les personnages, un aspect que l’on perçoit même sans le jeu scénique du chanteur, toujours très impliqué – comme l’était semble-t-il Tamburini lui-même. Notons enfin l’appréciable clarté du timbre (la voix n’est jamais engorgée) et surtout la constante élégance de la ligne de chant.
Il faut enfin louer la rigueur artistique et musicologique de l’entreprise : les airs sont gravés dans leur intégralité, avec leurs introductions, leurs cabalettes reprises et ornées, l’intervention de chœurs (le Camerata Bach Choir, précis et nuancé, un peu léger cependant quand il s’agit de soutenir la fougue belliqueuse du chanteur !) et même de comprimarii quand nécessaire, au nombre desquels on compte rien moins que le jeune Patrick Kabongo, ayant depuis commencé une belle carrière de ténor. La direction de José Miguel Pérez-Sierra (à la tête des Virtuosi Brunenses) est toujours précise et fait alterner les moments de tendresse, d’humour ou de drame avec la même efficacité et une grande rigueur stylistique.
Un CD indispensable à tout amateur de beau chant et de découvertes !