En Bref
Création de l'opéra
Le 15 décembre 1815, Rossini signe un contrat pour un opera buffa avec le duc Francesco Sforza-Cesarini, impresario du Teatro Argentina de Rome. À cette date, Cesare Sterbini n’a pas encore achevé le livret, tiré de la comédie de Beaumarchais, Le Barbier de Séville (1775). Le compositeur s’attèle tardivement à la composition de l’opéra et l’achève en quelques jours (13 selon Stendhal).
Rossini est alors âgé de vingt-trois ans et commence à gagner en notoriété à travers toute l’Italie : La scala di seta (L’échelle de soie), Tancrède ou encore L’Italienne à Alger comptent parmi ses premiers grands succès, Le Barbier de Séville (Il Barbiere di Siviglia) est son dix-septième opéra. La comédie de Beaumarchais avait déjà fait l’objet de plusieurs adaptations à l’opéra, parmi lesquelles la plus récente et la plus populaire était celle de Paisiello, suscitant une certaine attente du public pour comparer les deux ouvrages.
Lors de la création à Rome, un grand nombre de rivaux de Rossini interrompent de manière intempestive le spectacle, déjà perturbé par un enchaînement d’incidents impliquant les chanteurs sur scène : dès la fin du premier acte l’opéra est sanctionné par les cris et les sifflets, c’est un fiasco. La deuxième représentation connaît un accueil beaucoup plus favorable, et l’opéra gagne en popularité au fil des représentations jusqu’à devenir le plus grand succès du compositeur italien.
Clés d'écoute de l'opéra
Un opéra caractéristique de l’opera buffa…
Le Barbier de Séville (Il Barbiere di Siviglia) de Rossini s’inscrit dans la grande tradition de l'opera buffa italien, dont les livrets sont basés des sujets quotidiens. Genre moins noble que l'opera seria, l’humour dans l'opera buffa doit être efficace et dynamique, ce qui se traduit par de nombreuses péripéties et par une effervescence de traits d’esprit. Le comique de situation, omniprésent, s’illustre notamment dans le final de chaque acte, moments privilégiés pour les rebondissements les plus inattendus et où les masques tombent : à la fin de l’acte I (« Fredda e immobile »), tous les personnages passent successivement d’un état d’hébétude à l’agitation la plus confuse pendant l’arrestation du comte.
Le compositeur du Barbier respecte la typologie des personnages de l'opera buffa : le jeune amoureux est confié à un ténor léger, les hommes à tout faire à des barytons ou des basses, sans oublier le rôle caractéristique de basse-bouffe en la figure de Bartolo. Quant au personnage de la jeune amoureuse, il est écrit pour une voix de contralto, rappelant d’autres héroïnes rossiniennes comme Isabella dans L’Italienne à Alger (1813), et Angelina dans La Cenerentola (1817).
Mozart s’est également illustré dans ce genre en adaptant en 1786 Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, dont on retrouve plusieurs personnages chez Rossini.
… et du bel canto…
La tradition du beau chant est l’une des spécificités de l’opéra italien. Elle remonte à l’époque baroque. Chez Rossini, le bel canto se caractérise à travers la virtuosité, qui devient une dominante dans l’opéra italien, que ce soit dans les registres buffa ou seria : en témoignent les vocalises vertigineuses dans les airs du Comte et de Rosine. Cette technicité se traduit autant dans les vocalises très ornementées dans les airs des deux amants que dans le débit de paroles, qui caractérise les airs des basse-bouffe : outre l’air « A un dottor della mia sorte » de Bartolo, on retrouve également une écriture similaire dans l’air très célèbre de Figaro « Largo al factotum », où il vante la diversité de ses services. Ces vocalises ont souvent été reprochées par les critiques, que ce soit dans l’œuvre de Rossini ou plus généralement dans l’opéra italien : elles donnent selon eux une dimension psychologique superficielle aux personnages, réduisant l’opéra à une démonstration des prouesses vocales des chanteurs. Le bel canto se déploie toutefois également dans le lyrisme des cavatines.
Le caractère bel-cantistique investit également l’écriture des instruments de l’orchestre, en particulier les bois dont la place s’accroît tout au long du XIXe siècle. Nombre d’interprètes, du vivant de Rossini, ont rajouté des fioritures mélodiques à ses airs les plus techniques, en dénaturant considérablement l’écriture mélodique d’origine. L’exemple le plus frappant de ces vocalises vertigineuses serait l’air de bravoure de Rosine, « Una voce poco fa », dont se sont emparés les sopranos coloratures en le transposant. Après les dérives ornementales que l’opéra rossinien a connues depuis leur création, plusieurs éditions critiques parues au XXe siècle ont cherché à reconstituer une partition fidèle à partir des manuscrits originaux.
… contribuant à renouveler le genre
Aujourd’hui considéré comme un opéra typique du registre buffa, Le Barbier insuffle une nouvelle dynamique par rapport aux œuvres existantes. Il établit en effet des formes qui deviendront ensuite des structures-types de l’opéra italien, en particulier avec la solita forma, dont l’air « Una voce poco fa » est un bon exemple : un court récitatif accompagné par l’orchestre introduit la cavatine, première partie de l’air lyrique dans un tempo modéré. Suit une section intermédiaire parlando qui induit en général un changement (dramatique et musical) et fait office de transition pour la cabalette, épisode final rapide et virtuose.
Le Barbier dans l’œuvre de Rossini
L'opera buffa a constitué la marque de fabrique de Rossini durant une grande partie de sa vie, cette période s’achevant en 1819 avec La Gazza ladra (La Pie voleuse), soit quatre ans après la création du Barbier. Les œuvres suivantes s’éloignent en effet de ce registre (Le Comte Ori, Guillaume Tell, etc.)
Que ce soit sur le plan vocal ou orchestral, le soin apporté à l’écriture, légère et brillante, est particulièrement manifeste dans l’ouverture du Barbier, et hisse Rossini au rang des plus grands compositeurs italiens. Malgré les polémiques autour de l’abus d’effets comiques et la prédominance de la mélodie sur l’harmonie, les opéras de Rossini ne laissent pas ses contemporains indifférents : leur popularité dépasse vite les frontières de l’Italie, dont la France. Rossini s’installe d’ailleurs à Paris dans les années 1820, et s’y établira jusqu’à sa mort en 1868.