En Bref
Création de l'opéra
L'opéra de Puccini a été composé d'après Madame Butterfly de David Belasco, une pièce de théâtre créée en 1900, elle-même basée sur une nouvelle de John Luther Long datant de 1898. Puccini met alors tout en œuvre pour obtenir les droits sur la pièce et parvient à signer un contrat avec le dramaturge en septembre 1901. Le livret est confié à Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, qui avaient déjà collaboré avec Puccini pour Manon Lescaut (1893), La Bohème (1896) et Tosca (1900). Puccini s'attèle à la composition entre 1901 et 1903, et Ricordi, l'éditeur de Puccini, programme la première représentation de Madame Butterfly (Madama Butterfly) à La Scala de Milan le 17 février 1904.
La création se déroula dans des conditions exécrables, sabotée par les rivaux de Puccini et de Ricordi, alors que les précédents ouvrages du compositeur y avaient rencontré un succès phénoménal. Le compositeur est accusé d'auto-plagiat, certains voyant dans ce nouvel ouvrage une ressemblance avec La Bohème. D'autre part, les critiques jugent le second acte trop long tout en lui reconnaissant une forte intensité dramatique. L'opéra est retiré de l'affiche et Puccini décide alors de le retravailler en divisant le second acte en deux parties, aboutissant à un opéra en trois actes, pour le redonner à Brescia le 28 mai. Il rencontre alors enfin le succès escompté. L'œuvre sera toutefois ensuite retravaillé à plusieurs reprises, la partition la plus utilisée actuellement étant la cinquième version réalisée pour une production au Metropolitan Opera de New-York en 1907, dans laquelle Puccini a supprimé de nouveaux extraits afin de condenser l'intrigue.
Madame Butterfly poursuit le travaille sur le modèle de figures féminines pucciniennes issues du quotidien ou d'une époque récente telles que Manon ou Mimì, dans une intrigue située cette fois au Japon. La reconnaissance de l'opéra à l'international témoigne du rayonnement de la carrière de Puccini. Cela se confirmera lorsque le Metropolitan Opera lui commandera son opéra suivant, La fanciulla del West.
Clés d'écoute de l'opéra
Le livret
La Madame Butterfly (Madama Butterfly) de Puccini a été écrit par Giacosa et Illica, qui ont intégralement écrit les livrets de La Bohème et Tosca (Manon Lescaut avait été rédigé avec la collaboration de Marco Praga). Cette fois-ci, le livret a été réalisé à partir de la pièce de David Belasco, elle-même écrite d'après la nouvelle américaine de John Luther Long, contrairement aux précédents opéras basés sur des ouvrages français. Madame Butterfly se caractérise par un réalisme plus modeste, qui, malgré quelques touches « japonisantes » qui tentent de donner une couleur locale, ne cherche pas à recréer le lieu de l'intrigue comme Puccini l'avait entrepris dans La Bohème ou Tosca, écrits dans une veine plus proche du naturalisme ou du vérisme. Néanmoins la démarche du compositeur reste sensiblement la même, puisque Puccini s'attache plutôt à dresser un portrait psychologique réaliste de ses personnages. Les deux librettistes italiens ont étoffé la Madame Butterfly de Belasco en retirant les aspects les plus légers du personnage pour en faire une héroïne authentique et tragique. Beaucoup ont fait le lien avec la pièce Madame Chrysanthème de Pierre Loti, dont l'intrigue a en commun avec la nouvelle de Long le thème du mariage des occidentaux de passage en Asie, et donnera naissance à un opéra homonyme d'André Messager.
Puccini considérait Madame Butterfly comme son opéra « le plus sincère et le plus expressif [qu'il ait] jamais conçu ». Confrontation fatale de l'Orient et de l'Occident à travers un amour non partagé, le drame va directement à l'essentiel : dès le début, l'opéra plonge dans l'action in medias res avec un court fugato orchestral qui remplace l'ouverture conventionnelle (qui peut soit présenter successivement les principaux thèmes musicaux de l'opéra, soit illustrer un caractère général de l'opéra). La fin de l'acte III marque l'apogée tragique de l'héroïne qui se donne la mort, dans un grand tutti de l'orchestre, solennel et majestueux, tandis que les cris de désespoir de Pinkerton retentissent. Le suicide de Butterfly trouvera par ailleurs un écho dans le sacrifice de Liù, la jeune esclave amoureuse dans le dernier opéra de Puccini, Turandot (1926). Mais ce sont également les moments plus calmes qui font de Madame Butterfly un opéra très poétique : le chœur « bouche fermée » qui clôt l'acte II enveloppe le mystère de la nuit, secondé par une orchestration subtile aux timbres diaphanes.
La psychologie des personnages
Madame Butterfly compte beaucoup de personnages secondaires qui ancrent davantage l'action dans le Japon occupé par l'armée américaine. Si leurs interventions se sont amenuisées au fil des cinq versions de l'opéra, c'est au profit des airs et des ensembles des personnages principaux, et en particulier de l'héroïne. L'opéra trace une évolution psychologique remarquable de cette jeune geisha tendrement surnommée « papillon » par ses amis (Cio-cio en japonais), de l'adolescente ingénue à la jeune mère devant céder son enfant. Ce surnom traduit cette ambivalence entre légèreté et fatalité. Comme un papillon, elle sera épinglée dans le tableau de chasse de Pinkerton jusqu'à ce qu'il trouve une épouse américaine qui le comblera. L'héroïne ne manque pas de faire ce parallèle à Pinkerton avant leur mariage, mais le destin suivra son cours, inéluctablement. C'est sans aucun doute dans son air phare « Un bel di vedremo » (acte II) que la profondeur expressive de Butterfly atteint son paroxysme : les changements de caractères musicaux suivent la description du jour où elle imagine retrouver enfin Pinkerton, et figurent également les appréhensions et enfin l'espoir assuré de l'héroïne. À l'inverse de cette personnalité engagée et authentique, Pinkerton est annoncé par un court motif, récurrent, qui reprend les premières notes de l'hymne national américain, dès l'acte I (« Dovunque al mondo »), comme si Puccini pastichait l'arrogance du séducteur à travers son patriotisme au fil de l'opéra. Malgré cette première image du séducteur qui promet de voguer vers d'autres aventures, le duo d'amour de l'acte I (« Viene la sera ») ne manque pas d'illustrer la passion et la tendresse réciproque des deux amants.