En Bref
Création de l'opéra
Après son maître Monteverdi, Cavalli est le compositeur le plus important dans les origines de l'opéra. Si Monteverdi "invente" le genre en produisant le premier chef-d'œuvre absolu (Orfeo, 1607), l'opéra est alors une "fable en musique" dans la tradition de la camerata florentine (donc jouée en privé, dans les chambres des aristocrates de Florence). C'est grâce à Cavalli que l'opéra devient un genre public, et même populaire. Il convainc Monteverdi de monter ses opéras pour le public à Venise, dans le cadre des festivités du Carnaval et Cavalli y produit également ses propres œuvres. Erismena est une étape importante dans la carrière de Cavalli (donc de l'opéra), confirmant son statut de principal compositeur lyrique de son temps (dans les pas de Monteverdi).
Cavalli contribue également à développer le genre de l'opéra, notamment en ajoutant des ballets à la fin des Actes I et II d'Erismena : le Ballet des Prisonniers et le Ballet des Maures.
Erismena est créé au Teatro Sant 'Apollinare de Venise le 30 décembre 1655. Grâce à son immense succès, il est joué au moins jusqu'au 28 février et ensuite donné à travers l'Italie. En 1670, le compositeur révise (et concentre) son œuvre. Les deux versions nous sont parvenues, ainsi qu'une traduction anglaise, elle aussi du 17e siècle.
Clés d'écoute de l'opéra
Dramma per musica
Au 17e siècle, le terme dramma per musica désigne le texte (drame) destiné à être mis en musique, mais il désigne rapidement l'ensemble de l'opéra (musique et texte). Le dramma per musica est l'ancien nom de l'opera seria (noble et sérieux). Dramma per musica se distingue de dramma giocoso comme opera seria se distingue d'opera buffa. Le dramma per musica (et plus tard l'opera seria) repose sur l'aria da capo (avec une reprise depuis le début). Cela permet de chanter le texte une première fois pour le faire comprendre, puis de révéler l'émotion du personnage en ornant ce texte durant une reprise bien plus longue. Cette construction est au service des thèmes dramatiques de l'opera seria : elle permet une narration historique d'un grand drame avec les passions exacerbées de ses acteurs.
Erismena est un dramma per musica, sans doute même le plus célèbre parmi les premières œuvres de ce style. Après Erismena (1656), les opus représentatifs du genre seront Tito Manlio (1719) de Vivaldi , Il Bellerofonte (1767) de Mysliveček, Paride ed Elena (1770) de Gluck, Armida (1779) de Salieri, Idoménée, roi de Crète (1781) de Mozart et Otello (1816) de Rossini. Le librettiste Pietro Metastasio (1698-1782) commettra également un nombre impressionnant de livrets pour ces dramme per musica.
Spectacle foisonnant
Le passage de l'opéra intime et avant-gardiste de Florence au spectacle public de Venise entériné par Cavalli (et notamment Erismena) provoque un grand changement dans les oeuvres, et notamment dans les intrigues qui deviennent d'une complexité extrême (pour attirer le spectateur et le tenir en haleine). Le public de l'époque connaissait par cœur les histoires des premiers opéras : la Dafne (1597) pourchassée par Apollon de Jacopo Peri, l'Euridice (1600) du même compositeur et l'Orfeo (1607) de Monteverdi basé sur la même histoire, de même que son Ariana (1608), un fil rouge de la mythologie ou bien Le Retour d'Ulysse dans sa patrie (1640) qui retourne aux origines des tragédies. Tout à l'inverse, les livrets vénitiens sont complexes et foisonnants. Erismena en est certainement un sommet avec ses personnages nombreux, aux amours extrêmement entremêlées (les couples se croisent, se font, se défont, se chassent et se repoussent). Les péripéties sont aussi nombreuses que subites, les guerres côtoient les séparations, les morts, les drames et les coups de théâtre. D'autant que les nombreux travestissements viennent encore complexifier l'affaire : certes, le public est habitué aux hommes chantant des voix de femmes, mais au-delà de ces travestissements musicaux, les personnages principaux sont tous cachés sous une fausse identité ou cachent un passé complexe (dont ils ne sont souvent pas même informés). D'ailleurs, la femme déguisée en chevalier et se révélant à son amoureux lors d'un combat (Erismena) rappelle un chef d'œuvre du maître de Cavalli : Le combat de Tancrède et Clorinde de Monteverdi.