Judith Chemla en récital lyrique à l'Athénée
Si Judith Chemla est sans doute plus connue du grand public pour sa carrière de comédienne, aussi bien au théâtre qu’au cinéma, elle a également à son actif un parcours de musicienne, avec une pratique de l’art lyrique qu’elle a déjà exercée à la scène. Elle avait incarné Violetta dans Traviata, vous méritez un avenir meilleur aux Bouffes du Nord (dont le compte-rendu est à retrouver sur Ôlyrix ainsi que celui de Mélisande, production hybride du même type), spectacle qui jouait sur une forme hybride, mi-théâtre, mi-opéra, entre l'œuvre de Dumas fils et celle de Verdi puis entre Maeterlinck et Debussy. L’année dernière, elle franchit une nouvelle étape en interprétant son premier "véritable" opéra, à Montpellier, dans le rôle-titre féminin de Pelléas et Mélisande (notre compte-rendu également). En ce lundi en récital, elle est accompagnée du pianiste Alphonse Cemin, dans une sélection de Lieder de Schubert, de chansons de Kurt Weill et de canciones populares de Manuel de Falla.
À la fin de son deuxième Lied, elle informe le public qu'elle était atteinte d'une extinction de voix deux jours auparavant, annonçant la nouvelle avec une petite pointe de nervosité. Son inquiétude s'avère inutile : la voix, sans atteindre toutefois le niveau sonore d'une wagnérienne, se fait entendre sans problème dans le théâtre à l’italienne et ne montre pas de signes de faiblesse du début à la fin de la soirée. Les propositions de l’interprète demeurent elles aussi amplement légitimes, l’artiste témoignant d’une musicalité irréprochable dans son approche de l’art lyrique.
La voix de la soprano trouve son ampleur dans les aigus, clairs et aériens, notamment dans le fameux Ave Maria de Schubert, lumineux et apaisant (ici précédé des deux autres Ellens Gesang-Hymnes à la vierge du même cycle de Lieder). À d’autres moments, Judith Chemla oscille entre un chant lyrique pleinement vibrant et une voix moins timbrée, davantage sur le souffle, mais tout autant habitée, comme si la comédienne et la chanteuse s’épaulaient dans une même volonté d’exprimer l’émotion de l'œuvre interprétée -dès Die Forelle-La Truite en ouverture du spectacle. En cela, le choix de proposer un sur-titrage pour les morceaux en langue étrangère (qui ne va pas toujours de soi en récital) s’avère judicieux, puisque leur interprète aborde chaque pièce comme un monologue autant que comme un air.
Elle livre également une interprétation personnelle et singulière des chansons populaires de Manuel de Falla, sans chercher à imiter la sonorité des diverses formes de cantes traditionnels espagnols. Si l’artiste se montre à l’aise avec la langue de Cervantes aussi bien qu’avec celle de Goethe, les chansons en français de Weill lui permettent une expressivité encore plus grande, en particulier dans "Retire ta main, je ne t’aime pas", où elle incarne l’indifférence de façade qui se fissure au fur et à mesure que transparait la blessure amoureuse.
Au piano, Alphonse Cemin suit la chanteuse avec finesse, son jeu souple et dynamique offrant un bel écrin à l’expressivité de la voix. Le temps d’un Lied (Der Hirt auf dem Felsen-Le Pâtre sur le rocher), ils sont également rejoints par la clarinettiste Iris Zerdoud, co-soliste durant la pièce, avec son instrument si proche des inflexions de la voix humaine.
Les trois musiciens sont applaudis copieusement à la fin du spectacle, et en sortant, plus d’un spectateur fredonne Youkali (Weill), l’air du rappel.