La voix des compositrices aux Invalides
Le programme du concert « Être compositrice au Grand Siècle » permet au public parisien d’en découvrir deux : Élisabeth Jacquet de La Guerre, connue de certains par ses pages pour le clavecin, et Antonia Bembo, ostensiblement et longtemps ignorée.
Le programme fait découvrir des extraits de leur riche catalogue (qui contient opéra, pièces vocales, profanes et religieuses) permettant d’imaginer leur forte personnalité en leurs temps et milieux, d'apprécier également le talent de celles qui devinrent protégées de Louis XIV après avoir joué ou chanté devant lui. Le public peut donc faire confiance aux goûts musicaux du Roi du Grand Siècle lui qui fonda les Invalides afin d’accueillir et soigner ses anciens soldats blessés.
Les sopranos Marie Perbost et Claire Lefilliâtre redonnent la voix à ces deux compositrices dans une entente réjouissante en cette Cathédrale Saint-Louis des Invalides. Leurs timbres définis et lumineux se marient dans une communion interprétative. Leur écoute fine et leurs échanges de regard garantissent des départs harmonieux et une connexion musicale assurée. Cette cohésion n’éclipse cependant pas les atouts de deux personnalités musicales distinctes.
Marie Perbost s’affirme dans un engagement théâtral enthousiaste, son plaisir du jeu enchantant le public. Tous les mots sont investis d’un sens dramatique dans une articulation précise. Elle habite chaque son de sa voix riche en harmoniques, son investissement la portant aussi bien dans la projection assurée que dans la réserve d’une intimité touchante. C’est tout sourire qu’elle vocalise de joie pour saluer le retour de Jephté (œuvre d’Élisabeth Jacquet de La Guerre) et, dans une langueur délicieuse, elle conduit les soupirs amoureux d’Ercole amante d’Antonia Bembo.
Claire Lefilliâtre, portant sa partition à la main, se présente davantage dans une posture de concertiste. Si une certaine fragilité point dans le bas de sa tessiture (elle assume la deuxième voix des duos), sa voix souple peu vibrée et son accroche assurée permettent néanmoins au public de déguster son art de l’ornementation comme par exemple sa façon de varier chaque exclamation sur « Ah que l’absence est un cruel martyre », tantôt sanglot, tantôt lamentation. Elle captive dans le Lamento della Virgine d’Antonia Bembo par son intelligence du texte, révélant les différentes parties de la pièce dans un dosage subtil de l’intensité et des suspensions.
L’ensemble Les Épopées se présente dans un effectif réduit sous la direction du clavecin de Stéphane Fuget et quelques minutes sont nécessaires à l’auditoire pour s’accoutumer à la confidentialité du son d’ensemble dans la vaste Cathédrale Saint-Louis des Invalides. À l’instar des deux chanteuses, les violons de Catherine Girard et Sandrine Dupé échangent dans une complicité perceptible. Alice Coquart au violoncelle assure aussi bien la virtuosité des passages concertants que les doux phrasés lorsqu’elle répond à Claire Lefilliâtre. Le continuo est habité par la gambiste Agnès Boissonnot-Guilbault aux cotés du théorbe de Pierre Rinderknecht. Si dans les ensembles, le clavecin demeure discret, Stéphane Fuget lui donne toute sa place dans la Suite en la mineur d’Elisabeth Jacquet de La Guerre, faisant sonner les basses et agrémentant la pièce d’une ornementation foisonnante.
Les artistes, fort applaudis, reprennent « Qu’un cœur est heureux dans un doux esclavage » (extrait de Céphale et Procris de Jacquet de La Guerre), réjouissants par la même le cœur du public et laissant augurer une suite passionnante de cette série de concerts dédiée aux femmes compositrices.
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