Scholl, Alagna et Kurzak font résonner le Stabat Mater d'Arvo Pärt aux Invalides
Il y a près de 340 ans, le chant grégorien emplissait déjà ce qui n’était encore que l’église Saint-Louis des Invalides, élevée en Cathédrale en 1986. En atteste une véritable relique de cette pratique, l’Antiphonaire des Invalides datant de 1682, somptueux recueil de plain-chant réalisé par l’atelier de calligraphie et d’enluminure des Invalides. C’est donc en alliant naturellement son patrimoine et sa modernité que la Saison musicale des Invalides propose ce soir un programme conçu autour d’œuvres du compositeur contemporain Arvo Pärt, que l’étude du plain-chant a grandement influencé. L'ouverture de ce concert dont les œuvres épurées suspendent toute notion du temps étant confiée au contre-ténor Andreas Scholl dont la carrière a connu un impressionnant élan il y a trente ans lors du Festival international de Beaune, la soirée est aussi l'occasion de rendre hommage à son regretté co-fondateur Kader Hassissi, par la voix de Christine Dana-Helfrich, Conservateur en chef du patrimoine et chef de la Mission musique auprès du musée de l'Armée.
En première partie de concert, Andreas Scholl interprète quatre œuvres aux sonorités mystiques mais toujours tendres, la mélodie minimaliste, voire statique, du chant -souvent sur une seule et même note- sculptant l'expressivité. Le contre-ténor conduit sur un soutien constant les longues phrases qui paraissent parfois sans fin, avec une appréciable souplesse. Le timbre se fait délicatement lumineux et tendre, aidé d’une gestuelle caressante et d’un soin attentif envers la diction. L’accompagnement très épuré des instruments n’est pas toujours d’une aide évidente pour parfaire la justesse (parfois un rien basse) mais l’émotion s'exprime d'autant plus que retenue avec My Heart’s in the Highlands, sur des paroles du poète écossais Robert Burns, accompagné avec une grande légèreté par un trio à cordes avec piano.
L'ensemble viennois Morphing Chamber Orchestra invite à la méditation musicale avec deux interludes instrumentaux, Summa et Fratres, aux harmonies quasi liquides tant les répétitions de ces longues cellules mélodiques forment une structure mouvante à l’image de vagues chatouillant les berges d’une rive. La quinzaine de musiciens fait preuve d’une homogénéité d’ensemble travaillée, essentielle pour cette musique, transparente telle une eau qui laisse chacun des instrumentistes comme à nu. Quelques suraigus des violons sur un fil de crin (ou presque) rappellent la difficulté de la délicatesse, et contribuent à souligner l'endurante attention. Tomasz Wabnic dirige de quelques discrètes volutes ou impulse quelques départs par ses respirations tandis que Christian Erny (chef-pianiste) coordonne avec attention les entremêlements des mélodies et des harmonies.
Pour le Stabat Mater, Andreas Scholl est rejoint par le fameux couple lyrique Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna. Tous deux restent très centrés sur leur partition, bien que la soprano fasse fréquemment l’effort de lever furtivement les yeux vers son auditoire, projetant facilement sa voix aussi chaude que solaire. Celle-ci semble caresser les voûtes de la Cathédrale avec des aigus bien placés, nets et pourtant agréablement ronds. Le ténor propose quant à lui une lecture beaucoup plus retenue, mais pour mieux déployer de vaillants et puissants aigus. L'auditeur peut aussi (et même davantage) apprécier le grain et la rondeur que gagne son timbre dans les médiums et les graves. Une légère et furtive fatigue le fait douter de ses notes vers la fin de l’œuvre mais son charisme indéniable invite à apprécier pleinement l’œuvre à la manière dont il se tient : altier, sûr et cependant dans une attitude introspective.
La soirée semble suspendre le temps et invite au recueillement, prolongé par quelques belles secondes de silence rompues d'une pluie d'applaudissements reconnaissants.
Superbe soirée de la saison musicale @MuseeArmee - @cic avec le magnifique Stabat Mater d'Arvo Pärt, interprété par le Vienna Morphing Orchestra et d'extraordinaires solistes, Aleksandra Kurzak, Roberto Alagna et Andreas Scholl. pic.twitter.com/lbojpr7Jzr
— Daniel Baal (@BaalDaniel) 17 novembre 2022