Fagioli et Rossini triomphent au Théâtre des Champs-Élysées
Le répertoire de ce récital est celui d'une mezzo-soprano ou de contralto colorature, dans des rôles travestis. C’est la solution transitoire adoptée par Rossini (et quelques belcantistes des débuts), entre la période, presque révolue en ce début de 19ème siècle, où les castrats tenaient les rôles de primo uomo (le jeune héros amoureux) et celle, qui se profile alors, où les ténors s’en empareront pour ne plus les lâcher. Ces airs requièrent du corps, de la présence et de la bravoure vocale. Franco Fagioli n’en est pas dépourvu ! Il assume avec vigueur, vaillance et poésie aussi, ces scènes constituées toujours de longs récits chargés de diverses passions et d’airs virtuoses. Il les assume sans ostentation avec une belle prestance scénique, mettant au service du caractère des personnages l’exécution maîtrisée des coloratures (sans les incessants mouvements parasites du corps qui, chez bien d’autres dans ce répertoire, viennent amoindrir la portée de la performance vocale).
Les récits ariosi (récits accompagnés par l’orchestre) sont tous très convaincants, incarnés, tant du point de vue de la caractérisation (le héros, guerrier le plus souvent, est toujours bien campé) que des passions qui se déploient. Doté d’une belle prestance physique, avec sobriété, l'interprète sait chaque fois contribuer à une incarnation et une présence efficaces. Les airs sont exécutés avec maestria, dans un engagement du corps qui n’est pas seulement celui de l’effort déployé, mais celui du héros dans toute sa puissance. Un petit bémol, tout de même, qui tient dans une petite faiblesse du medium de la voix, particulièrement sollicité dans ces airs, lors du crescendo accelerando systématique qui caractérise la strette finale (partie d'accélération et de resserrement à la fin d'un air), juste avant les cadences brillantes conclusives : dans ces moments la voix est quasiment toujours couverte par l’orchestre pour triompher ensuite dans les graves parfaitement poitrinés, et les aigus sonores voire guerriers de la cadence finale (ce qui pourrait rendre délicate, peut-être, une production scénique). Un autre petit maniérisme a consisté à produire, sur des notes tenues lors des récits, de jolis et longs trilles, peu utiles quant à l’incarnation rhétorique déployée là, cédant alors sans doute au plaisir de produire de la belle voix. Mais rien de tout cela n’entache une prestation époustouflante et un sacré tour de force : dans un opéra, on chante au maximum deux airs comme ceux-là, il en a chanté 6 dans ce concert de 1h50, si l’on rajoute le « bis » flamboyant qu’il a offert au public !
Franco Fagioli (© Thibault Stipal / Naïve)
L’orchestre a pour sa part donné tout seul, hormis des ouvertures de Rossini (Demetrio e Polibio et Semiramide), une jolie série de variations pour clarinette (exécutées avec brio par Spiros Mourikis) ainsi qu’une curiosité : une Sinfonia, tirée d’une cantate, Ulisse agli Elisi, et composée par Nikolaos Mantsaros (1795 – 1872), premier « compositeur d’importance que la Grèce moderne ait connu », selon le programme. Il s'agissait de la première « pièce de musique symphonique composée pour un orchestre à corde par un musicien grec ». L’Armonia Atenea, a été à la hauteur du spectacle dans une musique qui n’est pas son cœur de répertoire et qui demande à la fois de la chair et de l’esprit. Cela doit pétiller de part en part et nous ravir dans les crescendi qui concluent ces grands airs de bravoure ! Un léger bémol concernant les solistes des bois (basson et hautbois, un peu faibles dans les parties solistes acrobatiques…), n’a pas gommé l’impression générale d’une phalange efficace, capable de poésie et d’exaltation. Le public, après avoir ponctué ces prestations d’applaudissements nourris, a offert un triomphe (mains, voix et pieds) bien mérité !
Cela est d'autant plus remarquable que Franco Fagioli ne possède pas à proprement parler la voix de destination de ces œuvres. Il est contre-ténor (countertenor). C’est-à-dire, historiquement, une voix qui, en Angleterre par exemple, assurait les parties d’alto dans les polyphonies spirituelles. Et si quelques solistes ont émergé (chez Purcell et plus rarement chez Haendel), ce n’était pas une voix de soliste et encore moins une voix destinée à la scène.