Rufus Wainwright aux confins du lyrique à Verbier
L'Europe, et plus précisément la France aime à mettre les genres dans des cases, et se méfie de ce que l'on appelle parfois le cross-over. Outre Atlantique, on n'a pas ce genre de pudeur et Rufus Wainwright est autant célébré pour ses albums de chanson que pour son exploration du répertoire lyrique. L'Opéra de Toronto a d'ailleurs programmé, à la rentrée, la création mondiale de son second opéra, commandé par l'institution canadienne : Hadrian.
Assis au piano et en maître de cérémonie, celui-ci décline un panorama de son art lors de cette soirée à Verbier. Son écriture ne dédaigne pas l'expressivité, ni le sentiment, et sait jouer des registres pour séduire son auditoire, au-delà des questions d'orthodoxie technique. Après une mise en bouche seul, il invite Leona Naess, qui déploie une appréciable chaleur dans le timbre, non dénuée d'une discrète raucité, laquelle s'allie avec les notes et un texte sensible aux émotions du quotidien, à l'exemple de Pretty things. Sur une mélodie qui semble se souvenir d'une Gymnopédie de Satie, Early morning madness revient au solo en plongeant dans les méandres de la mélancolie, et dévoile un sens consommé de l'effet, jusque dans des crescendos dans le haut de la tessiture donnant à la déclamation chantée une puissance de l'affect que l'opéra ne renierait pas.
Anne-Sofie von Otter rejoint le plateau, avec le quatuor à cordes Brooklyn Rider. La mezzo-soprano suédoise ne connaît pas les préventions et se glisse avec gourmandise dans l'univers du canadien. Équilibrant ses ressources, elle sait timbrer son intonation, sans lui faire perdre la simplicité de la parole chantée. Le morceau Les feux d'artifice, qui décrit la solitude et l'évanescence d'une fête, témoigne de cette intelligence du style. Le quatuor réserve par ailleurs dans la foulée un moment roboratif qui contraste – et a tiré les leçons du minimalisme à la Glass. On n'oubliera pas les interventions, au piano, de Julien Quentin, aux indéniables qualités d'accompagnateur. L'ensemble des artistes se retrouvent pour une Barcarolle des Contes d'Hoffmann, légèrement revisitée par un auteur qui affirme « aimer le classique » – et ses chefs-d'oeuvres. Si Anne-Sofie van Otter restitue sans faute la ligne de mezzo, Rufus Wainwright remet l'autre au niveau d'une mélodie que l'on peut entonner sans trop se laisser intimider. Assurément le partage et la générosité semblent les mamelles de ce show qui n'ignore pas la langue française. En bis, Les Escaliers de la butte confirme le français sans reproche de l'américano-canadien.